Il est des auteurs, essayistes, philosophes ou romanciers qui à chaque ouvrage entreprennent du neuf, explorent un thème nouveau et sont capables de s'épancher sur tous les sujets. D'autres au contraire, à la René Girard, tracent toute leur vie un sillon et défrichent constamment la même idée, précisent et approfondissent une pensée, et d'une certaine manière écrivent à chaque fois le même livre.
Houellebecq fait clairement partie de la seconde catégorie, qui n'est pas moins intéressante que la première. Dans son septième roman, il reprend la colonne vertébrale de ses précédents récits : Florent-Claude Labrouste en l'occurrence, personnage dépressif, noyé dans un consumérisme aliénant, incapable de vivre et de surcroît submergé de remords. L'énième anti-héros contemple chaque jour sa médiocrité et celle du monde qui l'entoure, un monde dévasté par le libéralisme, où tout sacré excepté Mammon a disparu. Un monde où, pour paraphraser Clouscard, tout est permis mais rien n'est possible.
Le sujet de la Sérotonine fait aussi partie du tronc commun houellebecquien. En réalité, elle n'est qu'un antidépresseur additionnel qui complète les précédents que sont la consommation et le sexe compulsifs. Quand ces sources primaires d'excitation ne suffisent plus - on peut pourtant difficilement imaginer plus trash - il faut augmenter la dose. Le docteur qui suit Labrouste, d'ailleurs, ne saura que lui proposer l'alternative du bordel pour tenter de réduire la consommation de médicaments. Misère sans autre issue que celle du suicide, qui mettrait fin à une vie sous stimuli qui n'en a jamais été une.


Même si tout cela est bien vu, et le vocabulaire clinique toujours si adapté à la narration, l'ouvrage ne se réduit heureusement pas au sempiternel récit d'un homme qui n'a pas su vivre. "Soumission" était sorti la veille d'attentats islamistes, il est tout même frappant de constater qu'une fois de plus, MH a écrit ce livre juste avant la révolte des Gilets Jaunes. A chaque fois ce n'est pas tout à fait le même sujet mais tout de même, MH est indéniablement visionnaire, ou du moins attentif à son époque.


Labrouste, sorti de l'Agro et employé de Monsanto, assiste à la mort du monde paysan personnifié par son ami éleveur Aymeric. Il sent bien que de sa position, il est complice de ce lent et silencieux génocide, et travaille pour un parti qui ne sert plus les mêmes intérêts. De là des dialogues pleins d'humour, et en même temps terribles tant ils sonnent vrais, entre Labrouste et Aymeric, qui décrivent chacun à l'autre leur quotidien en complet décalage : quand l'un parle transformation des AOC françaises en AOP européennes, promotion des fermages à l'export, normes hygiéniques, PAC et quotas laitiers, l'autre, les mains dans le cambouis, résume simplement : "je respecte le cahier des charges bio, mais plus je cherche à faire les choses correctement, moins j'arrive à m'en sortir".


C'est dans ce tiers que réside à mes yeux tout l'intérêt du livre. Pour le reste, je dirais que c'est du Houellebecq réchauffé.
Bien sûr MH reste un auteur appréciable en ce qu'il cerne habilement les malheurs de notre époque et les tendances mortifères qu'elle suit, qu'il la décrit avec un style original, clinique, cru, mais je maintiens qu'il n'est pas un grand écrivain. Bien d'autres auteurs ont écrit sur leur époque avec justesse, exprimé leur tristesse avec talent et style. Mais enfin, on ne joue pas ici dans la même cour qu'un Léon Bloy ! Pardon, mais on ne passe pas à la postérité en répétant les mots "bite" et "chatte" toutes les trois pages.

Wlade
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le 29 janv. 2019

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