Houellebecq sort toujours le même livre, au point que certains peuvent désormais en prédire le contenu assez précisément. Et en effet, on a presque l'impression qu'il cherche ici à se caricaturer. Je vais commencer par rappeler l'histoire, de manière objective, avant de montrer ce que ses livres ont désormais à la fois de vain et de détestable (j'ai du mal à me décider sur ce qui l'emporte).


Par le biais d'une série de flashbacks, on suit vingt ans (1999-2018) de la vie de Florent-Claude, ancien élève de Supagro. Contractuel pour le ministère de l'Agriculture, il pond des notes montrant qu'il faut protéger les agriculteurs français, notes dont personne ne tient compte. Il prend des cachets de Captorix, un nouvel antidépresseur. Lorsqu'il découvre que sa petite amie japonaise, Yuzu, tourne des vidéos zoophiles, il quitte l'appartement et son emploi pour vivre à l'hôtel. Mais inconsciemment, il recherche les traces de ses échecs passés. Il repense à ses différentes compagnes : Claire, une actrice qui voulait faire du grand public et s'est trouvée coincée à faire des morceaux radiophoniques pour France Culture ; Kate, son dernier béguin étudiant qui aurait pu se transformer en couple et qu'il a fui ; Camille surtout, une stagiaire de 18 ans qu'il a rencontrée lors d'une campagne de promotion du livarot en Normandie, qui voulait fonder un foyer avec lui, mais qu'il a fui également, et dont il est encore amoureux.


Il y a aussi tout un segment de milieu de livre, sans doute le plus original, qui préfigure les gilets jaunes. Florent va voir un ancien de Supagro, son seul véritable ami, Aymeric, issu d'une grande famille noble de Normandie qui se détruit à vouloir maintenir un élevage de qualité. Désespérés par l'absence de couverture de leur détresse par les médias, ils décident de bloquer une bretelle d'autoroute. Les CRS arrivent. Aymeric se tue en direct à la télé, entraînant 10 morts parmi les éleveurs.
Le médecin de Florent augmente ses doses de Captorix, et il retrouve la trace de Camille. Contrairement à Claire, elle est restée belle, mais elle a un enfant. Florent, qui a conservé un fusil à lunettes avec lequel Aymeric l'a initié au tir, envisage de tuer l'enfant, mais se ravise. En très mauvais état, il rentre à Paris. Chassé de son hôtel qui va devenir non-fumeur, il prend un appartement dans une tour du XIIIe, s'enferme, prend du poids, regarde la télévision. Le livre se clôt au moment où il s'apprête à mettre en oeuvre son suicide en se jetant par la fenêtre.


On le voit, rien que de très habituel chez Houellebecq : beaucoup de misogynie, les femmes étant à la fois rabaissées au rang de "cul", de "chatte" et idéalisées comme la seule possibilité de donner du sens à son existence (parfois on pense au mouvement incel) ; pas mal de "pédés" et autres saillies homophobes (dès les premières pages, hein), pour jouer au viriliste oppressé. Comme dans les précédents, une relation "qui se veut ambigüe" au christianisme.


Mais surtout, Michel continue à descendre un peu plus bas dans la paranoïa déclinologue rance. On trouve ainsi :
- un mépris foncier pour les prolos (p. 47-48 : "une suite parentale c'est comme une chambre, mais avec un dressing et une salle de bain, je signale ça à l'intention de mes lecteurs des couches populaires" ; p. 122 : "C'est vrai que le chômeur de longue durée se transformait inéluctablement en un petit être recroquevillé et mutique").
- le peu que les banlieues sont évoquées, on sent que l'auteur prend des pincettes (enfin essaie) mais le message est clair : ce sont des territoires perdus de la république (p. 46 : "lorsque je traversais Villiers-le-Bel, puis Sarcelles, puis Pierrefitte-sur-Seine, puis Saint-Denis, lorsque je voyais peu à peu autour de moi s'élever la densité de population et les barres d'immeubles, et dans l'autobus la violence des conversations augmenter, et le niveau de danger visiblement s'accroître, j'avais à chaque fois la sensation nettement caractérisée de revenir en enfer [...]. Maintenant c'était différent, un parcours social sans brio particulier m'avait permis d'échapper, je l'espérais définitivement, au contact physique et même visuel des classes dangereuses".
- Au niveau politique, peu après la mort médiatique de l'agriculteur, voici le commentaire du narrateur : "le scandale de la suppression des quotas laitiers revenait comme un impensé obsédant, coupable, dont personne ne parvenait tout à fait à s'affranchir, seul le Rassemblement National semblait tout à fait clair sur ce sujet".


Alors on peut bien sûr tout prendre au second degré, l'attribuer au narrateur et non à l'auteur, mais franchement ça fait plusieurs fois que Houellebecq fait le coup et la ficelle est désormais fort éculée. Comment, ça fait penser à l'itinéraire de certains auteurs dans les années trente, voire quarante ? En effet, oui.


Je pourrais disserter sur le contenu, mais j'ai déjà consacré trop de temps à cet ouvrage assez vain. Pour faire simple, le titre renvoie à une hormone dont le protagoniste est privé, et l'on comprend (avec effroi devant tant de bêtise) que le personnage est une personnification de l'Occident : impuissant (dans tous les sens du terme), aboulique, avec des poussées de suicide, il est coincé dans une impasse et c'est la faute à la mondialisation et à la société.


Et c'est dommage que le contenu soit si rance, et les ficelles si prévisibles, car d'un point de vue littéraire, parfois, on trouve cette fuite en avant du texte qui pourrait rappeler un peu Beckett (je n'ai pas envie d'expliciter). Mais le monde de Houellebecq, s'il arrive à capter quelques échos isolés de notre siècle, est resté bloqué globalement dans les années 2000. Il ne sait pas ce qu'est le monde des jeunes, il n'en a même aucune idée. Les écrits de Houellebecq sont désormais un monde autonome, qui n'a plus grand chose à voir avec notre réalité.

zardoz6704
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le 6 août 2019

Critique lue 271 fois

zardoz6704

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