Seul le silence par Aunbrey
Coup de coeur.
Seul le Silence n'est pas un roman policier comme les autres. Et c'est ça qui fait tout son charme. Lorsque j'ai commencé le livre, je m'attendais à un thriller haletant, à une histoire palpitante, à ressentir de l'appréhension alors que la fin serait proche ; je m'attendais au déroulement classique de tout bon policier : une enquête, un enquêteur, des indices qui s'accumulent et qui n'ont au premier abord pas grand chose à voir les uns avec les autres, un suspect, un nouvel élément qui aurait changé tout ce que l'enquêteur pensait être acquis, et enfin la naissance de la vérité. Mais ce roman de R. J. Ellory défie ces codes et change de perspective.
C'est quelque peu déroutant au début car on se demande quand l'enquête va enfin commencer avant de se rendre compte que, bien qu'il y ait une investigation en cours de route, le lecteur ne la suivra pas. On ne découvrira pas de nouveaux indices, ni ne recherchera impatiemment le coupable. Au lieu de ce schéma classique, l'auteur préfère nous plonger dans la vie de son protagoniste, Joseph Vaughan.
Joseph eut une vie bien compliquée, très riche en événements et en émotion, remplie de cauchemars et d'horreur, entrecoupée d'instants de bonheur qui ne durent jamais suffisamment longtemps pour être pleinement appréciés par celui qui les expérimente. On suit le parcours d'un enfant qui grandit dans la peur et l'incertitude, qui tente de vivre bien qu'il soit hanté par les meurtres perpétrés dans la ville où il a toujours vécu. Il ne comprend pas ce qu'il passe, ces morts le suivent comme son ombre et viennent lui rendre visite chaque fois qu'il semble les oublier. Alors qu'il regarde en arrière et nous raconte son enfance, son adolescence et sa vie en tant qu'adulte, il nous fait part de ses faiblesses et des choses qu'il aurait aimé faire autrement, de ses regrets mais aussi de ce qu'il n'avait pas anticipé. On s'attache à ce gamin devenu un homme, on comprend ses sentiments, on est content de son succès, on s'ouvre au monde grâce aux personnes qu'il rencontre, on partage sa vie avec lui. La frustration nous envahit quand plus rien ne va, quand Joseph lui-même perd espoir et égare son âme dans une pièce sans fenêtre. C'est un personnage principal on ne peut plus humain, son esprit n'est pas d'acier, les événements de l'existence l'atteignent, le touchent et l'affectent mais comme il est fort et déterminé, le temps guérit ses blessures et il se relève chaque fois qu'il est à terre. Il ne prend pas forcément les bonnes décisions, il ne fait probablement pas les meilleurs choix qui pourrait lui faciliter la vie. La nature ne lui fait pas de cadeau, une grande partie de sa vie est faite d'épreuves éprouvantes mais il s'accroche. Il est entouré de personnes qui tiennent à lui et l'aideront à s'en sortir. Joseph Vaughan a un côté fragile et humain qui en font un personnage extrêmement plaisant à suivre au fil des ans et des différents « stades » de son existence.
L'histoire en elle-même ne repose donc pas sur l'enquête policière. Cette dernière est reléguée au second voire troisième plan. L'auteur ne la mentionne pas vraiment. On sait qu'il y en a une car tout meurtre impose une enquête, de plus la situation est beaucoup trop grave pour ne pas créer la panique auprès de la population, mais l'enquête n'est pas au centre du roman.
J'ai plutôt eu l'impression que les meurtres étaient perpétrés avec l'intention de perturber et interrompre la vie paisible de Vaughan, comme si lorsqu'il semble enfin heureux et qu'il a trouvé un peu de tranquillité et de paix émotionnelle, un meurtre le ramenait brutalement sur terre et lui rappelait que la réalité était tout autre. Pour lui remémorer les erreurs et échecs de son passé. Les morts viennent s'accrocher à sa vie comme à un aimant et il doit les traîner partout avec lui. Comme un poids sur sa conscience.
Un autre élément qui m'a beaucoup plu, c'est le contexte historique au début de l'histoire. On a un petit aperçu du point de vue des Américains sur la seconde guerre mondiale, sur Hitler et ses actions, sur ce qu'il s'est passé en Europe. Cela ne fut mentionné que durant les premiers chapitres et n'a servi que de comparaison aux événements qui marquèrent la tranquille ville d'Augusta Falls mais j'ai beaucoup aimé cette vision de l'Histoire. On y ressent également l'aversion encore profonde des gens pour les noirs tout en s'apercevant que les mentalités commencent à changer.
En conclusion, Seul le Silence est un excellent roman policier qui prend par surprise au premier abord car on ne suit pas une enquête policière traditionnelle. On se plonge dans la vie mouvementée et tragique de Joseph Vaughan, enfant désireux d'aider et de protéger, adolescent hanté par sa culpabilité, adulte brisé, on découvre chaque nouvel moment de sa vie avec une certaine fébrilité, nous doutant que le pire reste à venir, que la fatalité finit toujours par le rattraper.
L'histoire m'a obsédée. Je tournais les pages avec impatience, emportée par ce que je lisais. L'écriture de Ellory est très agréable à lire, ça coule comme de l'eau de source et on se laisse porter par le courant. Le style n'est peut-être pas haletant mais cela ne m'a pas empêché de frissonner d'horreur et d'épouvante plusieurs fois au cours de ma lecture.