Après un tome centré sur les relations mondaines avec l'entrée du narrateur dans le monde fastueux des Guermantes et qui souffrait de longueurs parfois épouvantables (vous me direz, c'est Proust, après tout), Sodome et Gomorrhe se concentre sur un nouvel aspect, déjà effleuré dans Du Côté de chez Swann, mais qui prend ici une place considérable : l'homosexualité.

Les premières pages du livre sont celles de la découverte de l'inversion du baron de Charlus, lui qui fut, durant les 3 premiers tomes, le modèle de l'homme viril et implacable. Cette révélation va être capitale pour le narrateur : tout d'abord dans sa vision du baron, qui devient plus critique et plus sensible aux comportements efféminés de celui-ci. Sont-ils réels ou sont-ils liés à la perception que se fait le narrateur du noble inverti ? Le doute est permis, d'autant plus que cette interprétation des moindres actes liée à cette suspicion se retrouve dans la relation entre Albertine et le narrateur, celui-ci la soupçonnant d'avoir des penchants saphiques. Dès lors point une jalousie maladive envers tous et toutes, qui par moments s'apaise mais ronge pourtant massivement le roman. Même les retrouvailles avec Saint-Loup, si jouissives dans A l'ombre des jeunes filles en fleur et Le Côté de Guermantes, sont gâchées par la paranoïa du narrateur qui soupçonne la jeune fille et son ami de se désirer.

Autour de ce point central en gravitent d'autres qui détonnent par rapport à la sécheresse du précédent tome : Proust met en avant des personnages qu'il n'avait que légèrement évoqués auparavant, comme Brichot, éminent universitaire, spécialiste en toponymie et qui m'a largement fait pensé au métro-intello-bobo Lorant Deutsch (si quelqu'un veut faire une nouvelle adaptation de la Recherche, vous avez déjà une idée pour le casting). On retrouve également les Verdurin qui permettent à l'auteur de parler encore et toujours de l'univers mondain, mais d'une manière moins pompeuse que lorsqu'il était question des Guermantes.

Enfin, Sodome et Gomorrhe doit posséder les plus belles pages de ce début de la Recherche : la comparaison de la parade amoureuse de Charlus et Jupien avec le bourdon et sa fleur, le ressenti à retardement du narrateur face au décès de sa grand-mère et la fin font partie des passages d'anthologie de l'oeuvre de Proust, bien plus que l'ouverture de Du côté de chez Swann, bien plus que la madeleine et au même niveau qu'Un amour de Swann et la rencontre des jeunes filles de Balbec.

Il n'y a pas à dire, Le Côté de Guermantes vaut la peine d'être subie, uniquement pour pouvoir accéder et apprécier ce tome.
Nolwenn-Allison
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le 30 janv. 2014

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Nolwenn-Allison

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