Soumission
6.4
Soumission

livre de Michel Houellebecq (2015)

La bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix...

Qu'on puisse s'offenser du traitement que réserve Houellebecq à l'islam ne manque pas de me laisser profondément songeur. Et ce pour plusieurs raisons.

De une: à quoi s'attendait-on? Michel n'a jamais été tendre pour aucune foi et n'a jamais frappé par sa fibre mystique. Il reste un grand désabusé. Si les religions monothéistes l'intéressent c'est d'un point de vue culturel, comme un intellectuel. A ce titre tout le passage consacré à la madone noire de Rocamadour est révélatrice. Près d'elle, le narrateur se sent pris de vertige devant la profondeur du sentiment religieux médiéval mais avoue qu'une fois parti il ne sent plus rien. Il est sensible à la monumentalité de la foi romane et à sa beauté mais vraiment plus? Il ne semble pas... De ce point de vue l'Islam lui semble une religion du livre comme les autres, simplement un peu plus pragmatique, donc, dans le fond préférable parce que plus conciliable avec sa vie de petit bourgeois ankylosé.

De deux: il ne s'agit à aucun moment de terroristes ou de djihadistes hurleurs. A part les extrémistes (qui sont présentés comme minoritaires) au début du livre, les musulmans sont présentés comme des gens extrêmement raisonnables, mesurés, pragmatiques encore une fois, et dont la vision politique est convaincante et efficace.

De trois: c'est surement là le coté le plus intéressant du livre, c'est lorsqu'il présente la vitalité de l'islam. Houellebecq est très subtil lorsqu'il s'agit de présenter l'attrait que peut avoir la foi musulmane. Pour des européens fatigués tels que nous, il s'agit d'une philosophie incroyablement dynamique, porteuse d'un vrai projet. Il effectue à ce sujet un parallèle intéressant avec la situation de son ex, Myriam, qui se retrouve en Israël: elle reconnait que la situation est pire là-bas mais au moins est-elle stimulante, là au moins a-t-elle l'impression d'accomplir quelque chose qui a un sens. C'est lorsqu'il met en opposition la fatigue de l'occident chrétien et la force presque juvénile de l'islam qu'il fait la propagande la plus convaincante de la religion mahométane. On finit par se dire qu'en effet, peut-être, est-elle la solution à l'épuisement de nos démocraties et aux excès de l'individualisme post-capitaliste.

Soumission fait l'effet d'un véritable itinéraire huysmansien, du désespoir à la croix, ici remplacée par le croissant de lune, celui d'une conversion presque sincère. Je dis bien presque parce que Houellebecq reste lui-même et admet qu'il ne peut en toute bonne foi se résoudre au mysticisme religieux. Néanmoins, il accepte que pour sortir de l'impasse de la dépression, il est sans doute nécessaire de se rendre à un principe plus grand que soi-même, que pour trouver un sens à sa vie et échapper au suicide il faut s'en remettre à la formule éprouvée de la religion. On peut remettre en cause cette sincérité, mais il reste que la Soumission semble une réponse pertinente à ce qui a toujours été le problème de l'existence pour Houellebecq: l'impasse de l'individualisme et de l'hédonisme modernes hérités de la génération du baby boom.

Alors oui, certaines réflexions, notamment sur le statut des femmes, peuvent prêter à caution, mais si Houellebecq était connu comme un grand féministe, ça se saurait... toujours est-il que, à tous égards, Soumission est un livre assez mesuré. Par ailleurs, je pense qu'il est un avertissement, voire un constat accablant, de la faillite des partis politiques traditionnels, incapables de régénérer le débat politique actuel. Il montre très habilement comment cette désillusion se traduit par le désir d'un changement radical. Le simple fait qu'il ait refusé au front national et ses séides identitaires le droit de l'incarner illustre assez bien sa perspicacité politique.

Au final, je pense que ce livre déplaira surtout à ceux qui ne partagent pas son avis sur l'échec de la démocratie européenne. On peut accuser Houellebeq d'être quelqu'un qui a cessé de croire que notre système politique et social est le meilleur qu'il est possible d'imaginer, c'est certain, mais est-ce vraiment là quelque chose dont on peut le blâmer?

Si l'on ajoute à cela que ce livre est stylistiquement fidèle à ce que l'on en est venu à attendre de lui, que peut-on vraiment demander de plus?
Listening_Wind
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 2015 année glagolitique...

Créée

le 15 janv. 2015

Critique lue 3.7K fois

50 j'aime

5 commentaires

Listening_Wind

Écrit par

Critique lue 3.7K fois

50
5

D'autres avis sur Soumission

Soumission
BrunePlatine
8

Islamophobe ? Vraiment ? L'avez-vous lu ?

A entendre les différentes critiques - de Manuel Valls à Ali Baddou - concernant le dernier Houellebecq, on s'attend à lire un brûlot fasciste, commis à la solde du Front national. Après avoir...

le 23 janv. 2015

70 j'aime

27

Soumission
Listening_Wind
7

La bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix...

Qu'on puisse s'offenser du traitement que réserve Houellebecq à l'islam ne manque pas de me laisser profondément songeur. Et ce pour plusieurs raisons. De une: à quoi s'attendait-on? Michel n'a...

le 15 janv. 2015

50 j'aime

5

Soumission
-Ether
2

Dégueulasserie de haut niveau

Télé, radios et internet se sont liguées contre le peuple français pour lui rabâcher les oreilles au sujet du dernier livre de Houellebecq (qui soit dit en pensant ressemble désormais plus à l'idée...

le 12 janv. 2015

40 j'aime

18

Du même critique

Les Démons
Listening_Wind
10

Ecrire avec un marteau

Pourquoi est-ce mon roman préféré de Dostoïevski ? Kundera a écrit quelque part que Démons est plusieurs romans en un, qu’il amalgame roman psychologique, satyre, comédie, discussion philosophique...

le 17 sept. 2015

44 j'aime

1

Moralités légendaires
Listening_Wind
10

Oh, délices hermétiques de la langue...

Les "décadents" ne respectent que deux choses, à savoir la langue et le mythe, ce qui revient au même. Les "décadents" n'aiment qu'une chose, à savoir les mots. La réalité devait leur sembler bien...

le 20 janv. 2015

15 j'aime

Physique
Listening_Wind
10

De la faille originelle au boson de Higgs

La physique d'Aristote n'est pas une lecture de loisir: c'est aride, c'est décousu, c'est parfois contradictoire (quoique de tous les grands traités d'Aristote ce soit un des plus cohérents), et...

le 9 janv. 2015

13 j'aime

3