"Je rendis ma rédaction le lundi suivant. Le lendemain, Mme Fretag s'adressa à toute la classe. "Je viens de lire vos rédactions sur la visite que nous a rendue notre président. J'y étais. Certains d'entre vous, j l'ai remarqué, n'ont pas pu y assister pour une raison ou pour une autre. C'est pour ceux-là que j'aimerais vous lire la rédaction d'Henry Chinaski."
Le silence fut horrible. J'étais, et de loin, l'élève le plus impopulaire de la classe. C'était comme si un couteau s'était mis à leur fourailler le coeur.
"Il y a beaucoup d'imagination là-dedans", dit Mme Fretag avant de commencer à lire mon devoir. Ce que j'avais écrit me semblait bon. Tout le monde écoutait. C'étaient mes mots à moi qui remplissaient la salle de classe, qui allaient de tableau noir à tableau noir, qui frappaient le plafond, y ricochaient, recouvraient les chaussures de Mme Fretag et s'empilaient sur le plancher. Quelques-unes des plus jolies filles de la classe commencèrent à me regarder en douce. Tous les durs étaient furibards : leurs rédactions ne valaient pas un clou. Je buvais mes mots comme si j'avais été éperdu de soif. Je commençais même à croire à ce que j'avais écrit. Je regardait Juan : Il était affalé sur sa chaise comme si je lui en avais collé un entre les deux yeux. J'étendis les jambes et me renversai en arrière. La fin arriva un peu trop vite.
"Et c'est sur cette note grandiose que nous suspendrons la classe pour aujourd'hui", conclut Mme Fretag.
Tout le monde se leva et commença à ranger ses affaires.
"Non, pas toi, Henry", reprit-elle.
Je restai à ma place pendant qu'elle se mettait à me regarder.
Et puis elle me demanda:
"Henry, est-ce que tu y étais ?"
Je me creusai la tête pour trouver une réponse. Mais n'y arrivai pas.
"Non, dis-je, je n'y étais pas."
Elle sourit.
"C'est d'autant plus remarquable, fit-elle.
Je me levai et sortis. Je commençai à rentrer chez moi. Ainsi donc c'était ça qu'il voulaient : des mensonges. Des beaux mensonges. Oui, c'était ce dont ils avaient besoin. Les gens étaient bêtes. Pour moi, tout allait être facile. Je regardais derrière moi. Juan et ses potes n'étaient pas en train de me suivre. La situation s'améliorait."
"L'affaire était entièrement faite de gus qui détestaient le sport ou que leurs parents avaient obligés à suivre cet entraînement parce qu'ils pensaient qu'il était patriotique de le faire. Les parents riches avaient tendance à être plus patriotes que ceux des autres parce qu'ils avaient plus à perdre si le pays était vaincu. Les parents des enfants pauvres l'étaient beaucoup moins et n'en faisaient souvent profession que parce que c'était comme ça qu'on les avaient élevés. Dans leur subconscient, ils savaient bien que pour eux, ça ne serait probablement ni mieux ni pore si c'étaient les Russes, les Allemands, les Chinois ou les Japonais qui dirigeaient le pays - surtout si, en plus, on avait la peau noire. Il n'était même pas impossible que ça aille mieux !"