Roy a treize ans et vit avec sa mère et sa sœur en Californie. Il a grandi à Ketchikan en Alaska où son père est dentiste à Fairbanks, autre localité de l'état de plus froid des States. Etait serait plus adapté comme terme. En effet, ce dernier a tout vendu pour acquérir une petite île dans un des nombreux fjords de la côte sud-ouest de l'Alaska. Après avoir convaincu son ex-femme, la mère de Roy, son père a réussi à obtenir l'autorisation de partir une année durant sur l'île avec son fils. Robinsons modernes ils emportent avec eux provisions et radio pour la vie courante.
Une fois débarqués, l'hydravion reparti, ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Certes, une cabane rudimentaire est déjà là pour les accueillir, mais l'île n'est pas forcément accueillante. La preuve en est cette attaque d'ours qui, dès les premiers jours va réduire considérablement leurs réserves alimentaires et rendre la radio inopérante. Si on ajoute que la météo sera clémente pendant encore deux ou trois mois sur les côtes d'Alaska avant que l'hiver ne rende le milieu plus hostile encore, vous avez un portrait complet de ce qui les attend. Non, j'oubliais l'élément déstabilisant par excellence : Roy entend son père pleurer tout les soirs avant de s'endormir. Et cela est peut-être le plus terrifiant de tout.
Mais ils vont se remettre à l'ouvrage, même si un père qui semble dépressif et désirant plus que tout retrouver l'amour de sa seconde femme n'est pas l'idéal pour un préado qui n'a qu'une seule envie : fuir cette île et retrouver sa vie d'avant. Mais ce serait alors au prix d'abandonner ce père insouciant. Un prix fort demandé à un être trop jeune, comment cela peut-il bien tourner alors que les problèmes s'enchaînent ? Et peut-on demander à son enfant de vous aider à sortir de vos douleurs et de vos regrets ?
Utilisant une technique narrative éprouvée, David Vann a construit son roman en deux parties. La première est consacrée à Roy et à ce qu'il vit et ressent aux côtés de ce père dont on ne connaît même pas le prénom. Jim, il s'appelle Jim, ce père si étrange qui décrit par l'auteur dans la seconde partie qui lui est alors consacrée. La complexité de la relation père-fils dans des conditions extrêmes, la vie dans le manque de l'autre, des autres et d'une certaine façon l'exploration de soi dans ses recoins les plus sombres sont autant de thèmes abordés par ce roman déstabilisant et remarquable qu'on a du mal à quitter simplement en le refermant.
Court roman de 192 pages, « Sukkwan island » est le premier roman de David Vann. Ce roman est loin d'être passé inaperçu aux Etats-Unis car le mythe des pionniers, des grands espaces et des hommes qui luttent contre le milieu hostile pour survivre est un des fondamentaux de l'état d'esprit étasunien avec la liberté individuelle inaliénable et le droit aux flingues – trop souvent chèrement payé, même ici. L'éditeur Gallmeister nous propose un ouvrage d'une rare qualité esthétique et éthique. Hormis le recours à des fibres issues du développement durable, sa sobriété alliée aux photographies de couverture font de ce roman un des plus bel ouvrage que j'aie eu la chance de posséder. Découvrir un auteur est aussi une grande joie quand le talent est présent. Merci pour ce cadeau, merci pour cette découverte. Inoubliable.
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