Fiabilité des horaires de chemin de fer

Paru en 1958 (version originale), ce roman du japonais Seicho Matsumoto a été publié en France une première fois sous le titre Le rapide de Tokyo par la Librairie des Champs Élysées et aux éditions du masque (n°1695, 1982). Cette critique concerne la nouvelle traduction (par Rose-Marie Fayolle) éditée par Philippe Piquier-Unesco publiée en 1989 (Piquier poche, 1998). Il s’agit du troisième roman de Matsumoto (auteur prolifique de plusieurs centaines d'œuvres), son plus célèbre (plusieurs millions d'exemplaires vendus), très populaire au Japon où ses rééditions successives ont toujours gagné en succès. Un succès probablement dû à la description d’un Japon en pleine mutation où beaucoup de lecteurs se retrouvent ou bien puisent une certaine nostalgie. On constate également que les personnages sont essentiellement des gens du peuple qui gagnent leur vie comme ils peuvent (y compris les enquêteurs), les personnes des classes supérieures étant présentées comme bassement calculatrices. Enfin, la trame est étonnamment bien ficelée.


Comme dans tous les meilleurs romans policiers, le premier chapitre, qui s’intitule « Les témoins », est fondamental car il donne de nombreuses indications au lecteur. Dans un bar d'Akasaka (quartier de Tokyo, mais également nom d'un mets traditionnel japonais), les jeunes employées se comportent plus en moins en héritières des geishas traditionnelles, les clients ayant leurs habitudes auprès d’elles. Exemple avec Tatsuo Yasuda, un homme de 35 ans, dirigeant d'une société portant son nom. Une société de matériel pour machines ayant parmi ses clients le Ministère X. On mentionne que le Ministère X est impliqué dans une sombre affaire de corruption. Yasuda invite régulièrement ses clients dans ce bar. Sa serveuse préférée s'appelle Toki, une charmante jeune femme de 26 ans, discrète dans ses relations. Bien évidemment, sa discrétion est remarquée par ses collègues qui colportent à loisir le peu qu'elles savent à son sujet. Contrairement à elles, Toki n’accepte jamais de rendez-vous avec les clients du bar. Quand Yasuda propose un dîner en ville, Tomiko et Yaeko s'empressent d'accepter. Toki soudain introuvable, Yasuda néglige de l'inviter, comme s’il craignait d’essuyer un refus. Les jeunes femmes souhaitent un menu européen. Yasuda n'y voit aucun inconvénient, mais il sait qu'il doit prendre un train à 18h12. Au restaurant, il regarde souvent sa montre afin de ne pas le rater. Il a prévu de rendre visite à sa femme malade le soir-même à Kamakura (quelques kilomètres au sud de Tokyo). Accompagné des deux jeunes femmes à l'heure dite, sur un quai à proximité Yasuda aperçoit Toki en grande conversation avec un homme en compagnie de qui elle monte dans l'Asakaze (le vent du matin), rapide à destination de Hakata dans le Kyushu (extrême sud du pays). Tomiko et Yaeko en déduisent que Toki part, discrètement, avec son amant qu'elles ne connaissent pas.


En tout début du deuxième chapitre (sur les 13 que compte l’ouvrage) on apprend que le compagnon de Toki s’appelle Kenichi Sayama. Son cadavre est trouvé une semaine après les événements décrits précédemment, sur une côte (rocheuse) de Kashii (Kyushu) enlacé avec celui de Toki. Tous deux sont morts après absorption de cyanure de potassium dissous dans un jus de fruits.


Je vous laisse deviner quelles sont les premières conclusions de l’enquête menée sur place par Torigai, inspecteur local proche de la retraite. Il se trouve que Sayama travaillait au Ministère X. Pour cette raison, l’enquête est poursuivie par l’inspecteur Mihara venu de Tokyo. Les témoignages recueillis par Mihara lui font douter fortement de ce qu’il doit penser. Rapidement, il acquiert la certitude que tout ce qu’affirme son témoin n°1 sonne trop bien. Pourtant, il semble ne rien avoir à cacher et la vérité se dérobe régulièrement sous les investigations de Mihara.


Ce roman relativement court (190 pages pour l’édition de poche) brille avant tout par son intrigue qui ménage le suspense jusqu’à la fin. Tout en décrivant l’enquête de Mihara, l’auteur jongle avec la psychologie humaine (perception des événements, des témoignages, conception d’une machination, etc.) de manière très maitrisée. Il arrive même à rendre plausible une étrange fascination pour la lecture des horaires de chemin de fer (dont la fiabilité est à faire pâlir d’envie tout agent de la S.N.C.F.) De ce fait, l’intrigue se révèle parfaitement huilée et le dernier chapitre montre que tout se tient.


Malheureusement, par rapport à la qualité de l’intrigue, l’écriture elle-même déçoit un peu (style assez quelconque à mon avis). Pourtant essentielle au fonctionnement du roman, la personnalité de Mihara est peu fouillée. Et même s’il aime s’asseoir avec un café pour réfléchir, il se contente d’investigations qui vont toutes dans le même sens. Il en rend compte régulièrement à son supérieur qui, invariablement, estime ses informations intéressantes. A partir de quelques indices et des témoignages qu’il recueille, Mihara interprète pour imaginer ce qui a pu se passer, comment et pourquoi son témoin n°1 peut être impliqué dans l’affaire en question. La géographie ayant son importance pour la compréhension des événements, une carte du Japon figure en début d'ouvrage. A noter cependant que le lecteur est souvent tenté de poursuivre sa lecture sans vérifier l'exactitude de certains détails. L'auteur l'imagine certainement, car il prend soin plusieurs fois de récapituler des informations capitales sous forme de schémas (clairs). C’est néanmoins insuffisant à mon avis quand il est question d’horaires et d’itinéraires.


L’enquête aboutit de façon surprenante (et brillante), car on sentait Mihara sur le point de renoncer. Le dernier chapitre présente un courrier de Mihara à Torigai, le policier de Kashii. C’est grâce à ses réflexions et encouragements qu’il a finalement compris ce qui s’est passé.

Electron
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le 25 mai 2016

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