Tous à Zanzibar
7.4
Tous à Zanzibar

livre de John Brunner (1968)

Soyons honnête d’emblée : ce livre m’a pris énormément de temps à le terminer. Je le considère comme peu évident à lire après l‘avoir abandonné en milieu de lecture une première fois il y a plusieurs mois, la faute à une structure narrative - digne d’un album de Meshuggah - qui a personnellement fini par me sortir du roman. Mais comme le dirait ce bon vieux Kamaji dans le Voyage de Chihiro : « commence par finir ce que tu commences ! » Et c’est mission accomplie aujourd’hui, après avoir avalé l’autre moitié de ce roman de 700 pages lors de ces deux dernières semaines.


Mon analyse sera forcément quelque peu biaisée par cette lecture en deux temps, mais la précision me semblait ici nécessaire. Ah et la suite spoile légèrement, mais dans les grandes lignes.


Donc cette fameuse structure qui m’a perdu, de quoi répond elle ?


Elle suit tout d’abord une « continuité » qui constitue la trame essentielle de l’œuvre, nous faisant suivre le parcours de 2 personnages. Norma Niblock House un aframéricain, qui va gravir les échelons d’une grande multinationale - la GT - jusqu’à devenir responsable du plus gros projet de l’entreprise en relation avec le Béninia - un pays Africain fictif - dans lequel guerres et violences n’existent pas. Et Donald Hogan, sorte d’américain moyen, limite branleur dont le destin va changer une fois « empifié » (entendre amélioré) par la CIA qui l’enverra en tant qu’espion au Yatakang - un pays également fictif rappelant le Vietnam - pour y enlever un scientifique spécialiste en eugénisme, afin d’y stopper la propagande gouvernementale.


Mais là où John Brunner s’amuse avec son lecteur, c’est qu’il a coupé son scénario principal en y intégrant 3 autres formes de récits, enlevant toute linéarité classique à son œuvre.


La partie « jalons et portraits » dépeint divers personnages que l’on retrouvera par 3 reprises tout au long du roman, et qui nous présente un futur peu reluisant dans ce début de 21ème siècle imaginé par l’auteur 50 ans plus tôt.


Les chapitres « le monde en marche » (ça ne s’invente pas, coucou Macron) sont certainement ceux qui m’ont le plus fait perdre le fil de l’histoire (recoucou). Sorte de zapping tantôt télévisé, tantôt de bout de journaux, voir de poèmes ou d’explication de comment fabriquer une bombe artisanale (parce que le monde de Tous à Zanzibar est extrêmement violent… mais réaliste), ils sont constitués de morceaux de phrases qui généralement ne se termine pas, et passe directement…


Et enfin, les « contexte ». Pas toujours évident à suivre non plus, les « contexte » ont l’avantage certain de figurer les réflexions d’un sociologue, Chad Mullingan, sorte d’avatar de John Brunner himself. Et même si j’ai finalement bien aimé la trame policière principale, j’avoue que les réflexions de ce sociologue m’ont vraiment plu de par leur côté désabusées, voir sarcastiques. La territorialité et le lien que l’on peut en faire avec la surpopulation et la violence qui en découle lorsque l’espace vitale devient restreint sont ici étudiés. Il y commente également l’eugénisme, ou bien encore :



NEGRE Membre d’un sous-groupe de la race humaine, venant, ou dont les
ancêtres sont venus, d’un bout de terre surnommé - mais pas par ses
habitants - Afrique. L’Africain est supérieur à l’Aryen en ceci qu’il
n’a inventé ni l’arme atomique, ni l’automobile, ni le christianisme,
ni le gaz de combat, ni le camp de concentration, ni la maladie
militaire, ni la mégalopole.



J’avais trouvé ces 2 phrases plutôt pertinentes, surtout lorsqu’on les replace dans leur date d’écriture, 1966. Même si il faut tout de même raison garder, les Tutsis sont entre autre un triste exemple pour en témoigner, dans notre ère contemporaine.


Quelque part, ce schéma narratif déstructuré peut évoquer Alan Moore dans son Watchmen et la partie sur le comics des pirates. Peut-être Moore s’en est-il d’ailleurs inspiré ? Mais pour moi, ce fut pénible par moment. Et je me rend compte après lecture de la Préface signé Gérard Klein, que John Brunner a mis moins de temps à écrire son bouquin (6 mois) que moi à le lire (12 mois). Mais ce fut tout de même une expérience intéressante de voir que la projection sur 50 ans faite par cette écrivain s’avère finalement sur certains points assez prophétique.


L’auteur tout en abordant des sujets classiques de la science fiction tels que l’eugénisme ou l’intelligence artificielle (Shalmaneser me fait penser à Hal dans 2001, ou Melchizedek dans Gunnm, en confiant le destin de l’humanité à une machine), il évoque également le pouvoir de certaines multi nationales qui ont une puissance économique plus grande que le PIB de nombreux pays. Ca parait rien aujourd’hui, mais en 1966... La Chine a aussi une place importante, tout comme la communauté Européenne dans ce début de 21ème siècle, alors que le bloc soviétique est quant à lui peu mentionné. La surpopulation, la violence qui en découle par des attentats récurrents, ou encore la place de l’Homme noir dans la société (pour celle de la femme, on repassera malheureusement, tout au plus, elles sont des objets sexuels, que seule la mère GT, responsable de la multi nationale sus nommée peut éventuellement contredire) sont autant de thème que Brunner développe dans cette œuvre désabusée, à la limite d’un cyber punk inexistant à l’époque.


Pour conclure à la manière d‘un chapitre du « monde en marche », je dirai que Tous à Zanzibar est…

Quick
7
Écrit par

Créée

le 17 oct. 2018

Critique lue 260 fois

5 commentaires

Quick

Écrit par

Critique lue 260 fois

5

D'autres avis sur Tous à Zanzibar

Tous à Zanzibar
Marcus31
8

21st century schizoid man

Ce bouquin, offre, et c'est son intérêt majeur, la possibilité de découvrir la façon dont un écrivain de science-fiction avait envisagé - il y a un demi-siècle - notre époque. Bien plus que 1984...

le 23 août 2017

11 j'aime

7

Tous à Zanzibar
M_le_maudit
10

Tous à Zanzibar : un livre prophétique ?

Et bien ! Quelle claque ! J'avais lu ici où là que Tous à Zanzibar était un classique de la S-F, une œuvre phare et incontournable, de ces grands anciens dont la simple mention devrait encore...

le 28 mai 2014

7 j'aime

4

Tous à Zanzibar
Le-debardeur-ivre
4

Dur...Tres dur...

Tous à Zanzibar , ou Stand on Zanzibar dans la langue de The Clash , est un roman de science-fiction écrit par John Brunner et parut en France en 1972. Écrivain britannique , Brunner est surtout...

le 7 janv. 2017

6 j'aime

2

Du même critique

Pink Floyd : Live at Pompeii
Quick
10

Pompeii(t) up

Véritable petit bijou, ce live est un parfait exemple de ce que l'image peut apporter à la musique. En 1972, Pink Floyd qui a sorti un an auparavant le fabuleux Meddle, est alors à l'apogée de sa...

le 17 avr. 2011

6 j'aime

1

Gorazde
Quick
10

Critique de Gorazde par Quick

Gorazde marquera ma rencontre avec Joe Sacco. Oh ! J’en avais bien entendu parler par le passé, notamment lors de l’émission 28 Minutes sur Arte, consacrée à Guy Deslile pour son Fauve d’Or 2012 à...

le 9 mars 2013

5 j'aime