Bien.
Je me sens de vous parler maintenant de ce roman, dont tout le monde je crois doit parler puisqu'il est inscrit sur au moins une (à ma connaissance) de ces sacro-saintes listes de bêtes à concours (Première sélection du Goncourt. Mais je n'ai rien lu sur ce livre, pour ma part).
Il me faut témoigner de cette lecture d'une traite, sonnée par le soleil de cet après-midi, traître logé dans son fond de froid, qu'importe.
D'abord, merci Marie Van Moere, discrètement, tu m'as glissé son nom alors que je n'ai rien lu de lui, comme ennuyée de me le donner et je te comprends, tu m'as donné le nom d'un qui compte sans insister mais j'ai bien noté, discrètement mais résolue, parce que tu craignais peut-être que mes indélicatesses coutumières viennent te brusquer et te faire retourner dans un trou qu'on partage, à distance, s'il me venait le goût de ne pas le reconnaître. Ce trou qui annonce d'entrée "écoutez, à la fin, ma présence, si elle n'est pas à votre taille, que voulez-vous que j'y puisse, que voulez-vous que je m'obstine à trouver, dans ces échanges, que je ne peux au fond de ce trou que je tapisse des pages que je veux ?" Alors merci Marie, parce que je vois bien le cadeau précieux. Je n'y serais pas allée, sans cela.
Je rassemble mes esprits. Je commence.
Le narrateur, fils d'un pasteur Danois et d'une mère programmatrice de cinéma d'art et d'essais - du moins dans les années 70-80, à Toulouse, se retrouve en prison à Montréal, dans la même cellule qu'un grand biker pataud : qu'a-t-il fait ? Comment sont morts sa femme, son père et sa chienne, ces morts qui le visitent dès le départ du roman, quel lien avec son incarcération ?
L'occasion, en se posant habilement ces questions tout au long d'un récit construit classiquement, efficacement, entre le temps de la prison et les flashbacks pour aboutir sur une issue qu'il sera intelligent de taire pour les futurs lecteurs, l'occasion, donc, pour le narrateur, de revenir sur les faits marquants de son existence et ceux de sa famille.
Sans esbroufe mais terriblement bien ficelé, je veux dire, émaillé de formules extrêmement pertinentes, celles d'un aigle mental qui verrait tout en chacun en une seule fulgurance, mais ne s'attarderait pas à développer, étonnant dans ses descriptions très précises, quasi scientifiques d'un environnement doux-dingue, mâtiné de croyances variées, scellées par la rigueur droite, digne mais plus libre du protestantisme scandinave, éclairées discrètement par les issues de secours poétiques des Algonquins, précis, calme, résigné pour mener à ce qui nous consume tous plus ou moins à la fin d'une longue journée : un peu de justice sans loi, un peu de justice sans autorisation, la ferme attention au monde de ceux qui se planquent le temps qu'il faut pour prouver leur bonne foi, mais reviendront une heure, un court instant, peu importe, porter haut les valeurs qu'ils défendent depuis toujours.
On pourra trouver certains passages "cliniques" dans leur apparente froideur de déballage, et bien sûr, on ne trouvera rien de forcément épique ou renversant en invention de langue. Le style se fait comme cheval de Troie : il ne lance ses plus belles attaques qu'une fois qu'on l'a laissé passer, amadoué par son apparente simplicité.
Je ne sors pas toujours le lapin "émouvant" du chapeau (une allusion que les lecteurs du livre comprendront), et je m'en méfie, car l'émotion ne dure pas.
Je ne sais pas si ce livre "restera", de ce fait, puisque je suis toujours sous le coup de cette émotion vive. Mais je l'ai trouvé tout à fait fraternel sans effet de jambe, juste - le mot qui me revient sans cesse depuis que je l'ai commencé - et compatible, plus que cela, porteur de toute une série de petites observations, fines, jamais cabotines, incrustées, presque inaudibles, de ces observations qui vous ouvrent des voies d'air : nous sommes du même monde, nous y voyons et sentons un certain nombre de choses qui font sens commun.
Cela me suffira tout à fait pour m'en souvenir, et le conseiller.

PamélaR1
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le 4 sept. 2019

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Paméla Ramos

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