Chers contributeurs critiques,


J'ai le regret de vous annoncer cette terrible nouvelle : en mon nom, je suis contraint, par des forces ombrageuses, intimidantes, dont je tairais leur nom, de livrer des critiques sur cette épouvantable série "littéraire" qui avait déjà souillé les morceaux de vie insouciants caractérisant ma petite jeunesse. Preuve de son inconditionnel pouvoir maléfique, preuve de ma résistance admirable jusqu'au horrifique septième tome, preuve - hélas ! - de ma damnation éternelle à lire ces recueils emplis d'une nostalgie nauséabonde.
C'est par pure folie que je compte me replonger dans l'enfer (quel doux niais je fais ! pensez-vous, vous à l'abri seul derrière votre écran ouvert au monde entier) et vous transmettre mes pensées, mes désappointements et mes protestations au sujet de cette collection de bouquins funestes.
Commençons - et non des moindres - par le premier tome, le parfaitement nommé Tout commence mal. Je vous rappelle, chers lecteurs imprudents, que ce roman de la fin du XXe siècle est ciblé pour les enfants occupant l'âge si beau de 8 à 10 ans ; pourtant, l'auteur déteste cette littérature de jeunesse, la jugeant peu attrayante et anodine. Vous comprenez bien entendu le paradoxe affolant entre ces deux faits. Daniel Handler a tout simplement l'idée saugrenue d'inverser les éléments classiques des romans pour enfants en délivrant un "anti-conte de fées". Cette déconstruction s'opère dès la couverture elle-même : l'illustration riche de détails, élégante mais lugubre et le message de l'auteur peu accueillant envers le lecteur rendent évidente l'intention originale - incongrue, surtout - de travailler soigneusement un miroir inverse de la littérature jeunesse. Hélas, c'est surtout l'histoire qui est à la tête de cette désastreuse entreprise : trois enfants extraordinaires - une inventrice, un lecteur assoiffé de pages et une championne à mordre de compétition - virent leurs parents, doux foyer, balayés par un incendie impromptu. Dès lors, ils doivent vivre avec la terrible compagnie de leur tuteur, le comte Olaf, aussi agréable à l’œil et à l'esprit qu'une punaise glissée sournoisement sur mon siège.
Quelle lecture hasardeuse, étrange et inqualifiable que l'histoire contée par le fictif Lemony Snicket ! Sa plume a dû lui gratter sa menue gorge à plusieurs reprises tant son ton pessimiste et ironique, voire déplaisant, sied à merveille aux horribles tribulations de cette bande d'enfants. Le texte est enrichi d'une variété de jeux de mots, d'allitérations, de références littéraires grossières (tout à fait inappropriées pour un jeune lecteur avide de lectures tendres et mielleuses plutôt qu'une littérature gothique, ornée de noms glaçants tels Edgar Allan Poe, Bram Stocker ou encore Oscar Wilde, qui participerait à son émancipation culturelle) et autres anaphores. Mais cette richesse s'associe à l'ambiance sombre, poignante et couronnée d'antiphrases produisant un effet d'espoir vain au lecteur. Cette variation ludique des termes intriguera certainement le jeune lecteur au risque de le fasciner, n'ayant plus aucune envie, autre que de lire les treize tomes aux treize chapitres de cette infâme saga. Quel univers si riche, si envoûtant, croqué de personnages haut en couleurs, servie par l'idée infecte de faire vivre aux héros les pires ennuis dans le but de les endurcir et de s'en sortir grâce à leur esprit inventif dans un monde rongé par l'hypocrite droiture et l'implacable mensonge du paraître ! Jamais aucun livre pour enfants n'a encouragé ledit bambin à ouvrir les yeux sur une toute autre réalité et à surmonter ses plus abjects dangers grâce à sa lucidité, quelle ineptie ! Le portrait n'est guère flatteur quand l'obstacle de ce tome est incarné par le plus épouvantable des monstres humains possibles. L'odieux comte Olaf est aussi répugnant que fascinant lors de ses apparitions. Tel une ombre vampirique, il veut sucer le bonheur des orphelins pour leur fortune mais ses vils desseins restent dans l'ombre, cachés par un esprit calculateur et une apparence sournoisement intrigante. Quelle curieuse manière de la part du narrateur à se glisser dans les affaires des Baudelaire ! Lemony Snicket, ce personnage si étrange, mise en abyme personnifiée du conteur dans le conte, laisse transparaître un mystérieux lien des plus saugrenus avec l'histoire présente, mais quelle futilité ! L'hommage à la littérature à travers plusieurs symboles, que ce soit Klaus, la bibliothèque de la juge devenant indispensable pour l'effarante magouille du scélérat comte ou ce miroir énigmatique entre réel et fiction avec l'idée onirique de confondre les deux, est bien trop ludique, déplaisant pour un lecteur qui n'en demande pas tant - juste de lire une intrigue linéaire et simple, juste ciel !
Entre Charles Dickens et Oscar Wilde, le premier tome de ces si bien-nommées Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire (le titre original, quant à lui, essaie même de cacher avec justesse la tragédie du roman - A Series of Unfortunate Events) est une œuvre désagréable, désappointe et peut déstabiliser pour de jeunes enfants ayant encore des étoiles dans les yeux. Commencement déprimant d'une série de livres qui le sont tout autant, Tout commence mal - A Bad Beginning pose les bases de cet univers insalubre, gorgé de références culturelles, maniant une simplicité du récit avec la complexité de mots savants, de trésors au niveau de l'inventivité des expressions, des langages différents en tenant compte de l'ère moderne pour un résultat indescriptible au niveau de l'époque du récit - tout ceci jongle sous le prisme d'une ironie macabre, style aiguisé de l'auteur-miroir de la fiction littéraire. A l'encontre des rebondissements attendus des livres jeunesse, ce roman n'aura aucune pitié lorsqu'il s'agit de broyer du noir quant à l'avenir de ces enfants intrépides mais imprudents dans ce cercle de vie infernal, dominé par le vice et la cupidité dont le comte Olaf en représente le roi monstrueux face à la bêtise effarante des autres adultes. L'oeuvre de Snicket, dont toute sa froide ironie se retrouve dans cette première pièce, est un panel de références prestigieuses, de jeux de langage, d'aventures sordides représentant un message forcené à féliciter la lucidité des enfants, d'un univers foisonnant de mystères impénétrables et d'une ambiance caustique et ludique, de pâtes à la puttanesca odieusement méprisées et autres images violentes ; tant de preuves compromettantes mènent à vous conseiller une lecture plus saine, moins contraignante et plus conviviale - surtout pour les enfants - comme Oui-oui joue à cache-cache ou Petit héros fait caca comme les plus grands.
Si d'aventures vous aimez ces histoires d'enfants maltraités, de mariages douteux et de poursuites à l'héritage, gardez vos sens en alerte pour la prochaine critique. Mais si vous ne voulez pas lire les prochaines critiques - et c'est tout à fait compréhensible -, partez sur-le-champ ! Je suis bien plus attristé que vous de devoir parler de cette collection de livres macabres mais il est de mon devoir de comprendre cette envie de lire qui me pousse à continuer cette série infernale.


Avec mes plus sincères excuses,


M la Fortuna

Max_Sand
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le 5 juil. 2015

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Max Sand

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