"Prolétaires de tous les pays, reposez-vous !"

Un très court texte, mais qui brasse beaucoup d'idées.


Bob Black est un anarchiste américain (rien que ça déjà, c'est fort), et il a écrit ce texte en 1985.


Dans ce pamphlet, il remet en cause la notion de travail, du moins le travail salarié tel que nous le connaissons dans le monde capitaliste. En effet, en bon anarchiste, il critique le travail lorsqu'il devient aliénant, c'est-à-dire dés que son exercice devient dicté par des impératifs bassement matérialistes (bouffe, loyer, etc...), et soumis au salariat.


Le travail y est donc présenté pour ce qu'il est : une activité contrainte, aliénante jusque dans les temps de loisirs qu'elle concède au travailleur puisque même une fois le travail terminé, nos vies s'organisent autour de la journée de travail à venir.


Bob Clark milite pour une révolution ludique, où le travail ne serait plus un asservissement de l'individu, mais au contraire stimulerait la créativité (au sens large) des gens. Pour cela, il s'agirait, au contraire de ce qui se fait aujourd'hui, de limiter le temps de travail, et de ne le consacrer qu'aux tâches vraiment vitales.


En cela, on peut le rapprocher des théories de Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx, qui militait pour le droit à la paresse, et une semaine de quatre heures de travail, durée suffisante pour que l'Humanité produise suffisamment pour se nourrir, loger et vêtir. Le reste du temps ainsi économisé serait consacré à l'épanouissement personnel via un travail non salarié, librement consenti et choisi.


L'idée de jeu n'y est pas vu ici sous sa forme de "loisir ludique" (type jeux de plateau, sport ou jeux de rôles par exemple), mais comme toute activité que l'on peut pratiquer pour le plaisir, en dehors de toute contrainte salariée. Bob Clark cite par exemple le cas du jardinage, mais plus largement, il s'agirait de laisser tout un chacun choisir librement les activités auxquelles il souhaiterait s'adonner, même à petite doses, pour que leurs pratiques deviennent d'avantage un jeu qu'un travail.


Bob Clark estime ainsi que si chacun pouvait dégager du temps pour lui, pour faire ce qui l'intéresse vraiment, émergerait une société du dilettantisme qui libérerait la créativité et la connaissance humaine.


La meilleure comparaison que Clark puisse proposer tiens au sexe. Pour lui, l'archétype du jeu productif est la rencontre sexuelle, rencontre dans laquelle tout le monde donne et tout le monde reçoit, mais surtout activité pour laquelle plus on donne, plus on reçoit. En appliquant ce même principe au travail, dit-il, les meilleurs aspects de l'activité sexuelle s'appliqueront à tous les aspects de la vie quotidienne.


Ce texte, pour utopique qu'il soit, n'en est pas moins très bien argumenté, et pas du tout farfelu. Il pointe au contraire toutes les aberrations du système actuel qui tend à rendre le travail vain, pour ne pas dire chiant. Le constat qu'il dresse sur le monde du travail salarié, et surtout sur son caractère aliénant, même une fois la journée finie est particulièrement juste.


En l'espace d'une soixantaine de pages, Bob Clark propose donc une redéfinition du travail, mais fait aussi un constat un peu amer : pour mettre en place cette révolution ludique, il convient que chacun s'y mette. Ce à quoi on a envie de répondre : "Ok, mais qui va porter ce projet ? Comment faire table rase du monde du travail actuel ?"


Il semble assez peu probable que les oligarques qui profitent du système actuel soient très très chaud pour redistribuer ainsi les cartes.


N'en reste pas moins que ce livre est éclairant, au moins sur la réalité du monde du travail, et propose une vraie réflexion sur nos sociétés. Reste à savoir ce qui pourrait en ressortir. Les pistes proposées sont tentantes, mais demeurent difficiles à emprunter seul...


Ma critique est un brin embrouillée (en tout cas bien moins éclairante que la prose de Black), mais je ne saurai trop recommander la lecture de ce court pamphlet.

M_le_maudit
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le 18 oct. 2016

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M_le_maudit

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