Ubik
8
Ubik

livre de Philip K. Dick (1969)

Vous êtes vivants et je suis mort...

Jusqu'à maintenant, Ubik était du nombre des best-sellers/classiques de SF dont la lecture m'avait échappé, pour diverses raisons que je ne connais d'ailleurs pas forcément moi-même. Mais maintenant, l'erreur est réparée. J'ai lu, certains diront, THE chef-dœuvre de Philip K. Dick. Je ne vais pas passer par quatre chemins : je ne suis pas d'accord avec ce jugement dithyrambique et je m'en vais vous l'expliquer...

Mais avant de me faire trucider, je préciserai que j'ai trouvé ce roman d'un bon, d'un très bon niveau. Mais voilà, c'est du Dick. Et Dick, eh bien, c'est Dick. C'est un grand auteur qui a écrit beaucoup de bonnes choses, un écrivain avec une des imaginations les plus florissantes qu'ait connues la science-fiction, mais la sauce prend ou ne prend pas, ça dépend. C'est ainsi que je définirais ma relation de lecteur avec cet auteur : je ne sais pas si je l'aime. Il a écrit un des meilleurs romans de SF que j'ai lus, intitulé Substance mort, et cela vaut bien toute mon estime, mais il a écrit aussi de mauvaises choses, comme Le Maître du Haut-Château ou Dr Bloodmoney, et n'y a là pas de quoi me le faire idolâtrer.

Fans de Dick, l'heure de ma mort est-elle repoussée ? Si c'est le cas, je continue...

Pourquoi Ubik ne m'a pas transcendé.

Ubik aborde trois thèmes.

Le premier est l'asservissement de l'homme aux machines qui l'assistent au quotidien. Dans Ubik, les personnages sont entourés d'une profusion d'engins qui les servent efficacement, mais contre rémunération. Tout est payant, même l'ouverture de la porte de son conapt. Joe Chip, principal protagoniste du roman, a quelques petits soucis dans la gestion de son argent. Il doit sans cesse trouver de la monnaie à introduire dans la fente dont tout objet est muni, sous peine de ne rien pouvoir faire, de ne rien pouvoir obtenir.
L'impression que rien n'est gratuit est très forte dans l'univers de ce roman. L'exemple de Joe Chip est flagrant et exacerbé par son incapacité à gérer son argent, mais dans le futur décrit dans Ubik, le capitalisme est roi et pas de sous rime avec rien du tout. Vraiment. Irrémédiablement. Et stupidement. J'ai l'impression que Dick lance-là une critique subtile du système économique américain.
Lorsque les personnages sont transportés dans le passé – Joe Chip notamment –, ils doivent sans cesse affronter les difficultés liées à la disparition d'objets qui sont courants au XXIème siècle. La technologie, si elle nous facilite la vie, nous asservit évidemment.
Malheureusement, je pense que Dick développe assez peu ce thème dans ce roman. C'est une source d'embûches pour le personnage principal, mais pas un élément majeur de réflexion proposé par l'auteur. C'est dommage, ça m'intéresse beaucoup...

Le deuxième est le thème du psionique. Les pouvoirs télépathiques sont une réalité dans Ubik (comme dans nombre d'œuvres de Dick) et les personnes qui possèdent de telles capacités sont divisibles en deux catégories : ceux qui ont un pouvoir et ceux qui ont un contre-pouvoir. Certaines sociétés recrutent les premiers, comme celle de Raymond Hollis, et d'autres les seconds, à l'image de la Runciter Associates. Imaginez-vous, chaque jour qui est, ce que peut représenter pour la population ordinaire l'existence de tels individus ? C'est évoqué dans le roman un petit peu du point de vue du citoyen lambda, un peu plus du point de vue d'une société qui doit se protéger de l'espionnage industrielle. Chacun est en droit de s'interroger, dans un tel contexte, sur l'espionnage dont il peut faire l'objet, de la part d'un télépathe.
Nouveau « problème » dans Ubik : le thème de la télépathie n'est vraiment exploré qu'au début du roman. Une fois l'équipe de Glen Runciter arrivée sur la Lune, les questions concernant télépathes, précogs ou même le pouvoir de Pat Conley passent au second rang pour voir celles en rapport à la semi-vie passer sur le devant de la scène.
Dick débute son roman en s'appuyant sur un thème d'un grand intérêt mais abandonne finalement son exploitation. Certes, il l'a probablement fait dans d'autres de ses écrits, mais pas dans Ubik. Là encore, ce n'est pour moi avant tout qu'un prétexte pour lui afin d'examiner la question de la semi-vie.

Le troisème thème abordé est donc, on l'aura compris, celui de la semi-vie. Et à travers lui, celui du voyage dans le temps. La semi-vie est un état d'animation entre la vie et la mort dans lequel sont placés les défunts qu'on a congelés dans un laps de temps assez cours après leur mort. Les cercueils de ces heureux individus maintenus au seuil du trépas sont emmaganisés dans des moratoriums, comme celui des frères bien-aimés. Leurs proches peuvent ainsi communiquer avec eux – de moins en moins facilement, cela dit, car le cadavre est victime d'une lente déliquescence irrémédiable.
D'abord présenté comme des détails au début du roman, les moratoriums, la congélation et les aspects de la semi-vie se révèlent ensuite comme des éléments centraux du roman. Certes, Dick n'a pas son pareil pour décrire des pans de la réalité qui nous échappent, en partant parfois d'hypothèses particulières, voire farfelues. Ubik est un roman passionnant, mais pas forcément grâce à l'abord de ce thème, plutôt de part le suspense qu'il génère, le mystère dans lequel il plonge Joe Chip et que ce dernier essaie de percer, par la montée de la tension au fil des pages.

Ubik est un livre bourré de bonnes choses, d'idées incroyables, comme souvent chez Dick. Mais il m'aurait passionné s'il s'était concentré sur les éléments psioniques et l'étude de cet asservissement de l'homme par la machine, seulement effleuré. Ce roman est très bon, il faut le lire, mais j'ai l'impression que Philip K. Dick a fait mieux.
Hard_Cover
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 100 Incontournables de l'Imaginaire

Créée

le 18 déc. 2010

Critique lue 1K fois

5 j'aime

1 commentaire

Hard_Cover

Écrit par

Critique lue 1K fois

5
1

D'autres avis sur Ubik

Ubik
Alexis_Bourdesien
8

A lire en respectant le mode d'emploi

Aujourd’hui petite critique écrite à la va-vite, et pour un peu changer de d’habitude je vais parler d’un livre que je viens de finir (Oui le cinéma c’est bien mais bon il n’y a pas que ça dans la...

le 10 juin 2013

95 j'aime

30

Ubik
Marius
8

Du baume au coeur

Ubik est un rêve éveillé pour tout patron qui se respecte, où chaque détail du quotidien a enfin pu être "mo-né-ti-sé". Et hop, que je te glisse 5 cents pour ouvrir une porte, le café ce sera 10...

le 7 févr. 2011

64 j'aime

3

Ubik
Harlemshogun
5

Ubik-à-brac

Dans Ubik, l'intrigue part un peu dans tous les sens, des sentiers sont empruntés mais pas arpentés jusqu'au terme. En effet, plusieurs thèmes intéressants sont abordés et restent à un niveau...

le 10 oct. 2011

48 j'aime

Du même critique

Ravage
Hard_Cover
1

Critique de Ravage par Hard_Cover

Ravage est un classique de la littérature de science-fiction française. Extrêmement célèbre, il n'en ait pas moins méprisés et critiqués. J'avais lu ou entendu certaines de ces critiques et j'entamai...

le 19 déc. 2010

44 j'aime

9

Pinocchio
Hard_Cover
10

Critique de Pinocchio par Hard_Cover

Tout le monde a entendu parler de Pinocchio, cette marionnette de bois, fabriquée par Gepetto, qui prend vie, dont le nez grandit lorsqu'il ment et qui va vivre de nombreuses aventures accompagné du...

le 17 déc. 2010

41 j'aime

2

Arctic-Nation - Blacksad, tome 2
Hard_Cover
9

Critique de Arctic-Nation - Blacksad, tome 2 par Hard_Cover

Dans les années 50, les Etats-Unis étaient la proie d'un racisme extrêmement fort. Le Ku Klux Klan était extrêmement actif et ses membres châtiaient sévèrement les représentants de la population...

le 19 déc. 2010

23 j'aime