Porter une traîne

Ces compilations pédagogiques, je crois l’avoir écrit assez souvent, ne sont pas ma tasse de thé, plus encore quand le « Supplément » qui les clôt est décoratif : inexploitable en tant que tel par une classe de collège ordinaire. En l’occurrence, cette anthologie propose deux micro-nouvelles, parce qu’au-delà de deux pages c’est trop long pour un collégien, et tant pis si elles sont littérairement très pauvres (« En sentinelle » de Fredric Brown, « Le Tambour » de Paul Fournel), une nouvelle tout aussi moralisante et ennuyeuse comme un caillou (« La Chèvre du Liban » d’Andrée Chedid), une préfiguration noire d’Underground de Kusturica (« Un humaniste » de Romain Gary) et deux classiques pour la caution culturelle (« Les Habits neufs de l’empereur » d’Andersen, « La Lettre volée » de Poe).
Du coup, relire ces deux derniers textes m’a redonné l’occasion de me redire que s’ils sont devenus des classiques – ce qui ne sera jamais le cas des quatre autres, j’en mets ma main à couper –, ce n’est pas pour rien. Dans mes souvenirs, le style de « La Lettre volée » était plus fluide – Baudelaire meilleur découvreur que traducteur proprement dit ? – et développait une théorie moins générale – Poe comme auteur d’apologues ?
Quant à la fin du conte d’Andersen, dans mes souvenirs, elle rassurait : le roi revenait à plus d’humilité, les escrocs étaient punis. Or, « il [le roi] se redressa encore plus fièrement et les membres du gouvernement continuèrent de porter la traîne qui n’existait pas du tout ». Oui, toute ressemblance avec des personnes réelles etc., bien évidemment… Voilà qui donne, comme par capillarité, un peu de profondeur à l’ensemble, et une actualité politique telle qu’aucun enseignant agissant en fonctionnaire éthique et responsable n’aurait le droit de la présenter à ses élèves.