Le style est déconcertant de simplicité. Je m'attendais à quelque chose de plus écrit, et je le regretterais même parfois, puisqu'on ne relève aucune jolie tournure, à la musicalité intéressante, aucun aphorisme à méditer.
De plus l'écriture est parfaitement neutre et dépersonnalisée. La seule chose caractéristique relevée ici c'est l'expression "il est parti sans demander son reste", qui revient facilement à 5 reprises !


Toutefois, j'ai englouti le livre en 1 journée. Alors qu'est-ce qui a pu rendre son récit si exaltant à lire, car sur le fond l'histoire est dès plus banale ? La technique de narration est redoutable. A l'échelle de l'ouvrage entier, l'auteur brasse des thèmes indépendants (Kotelnitch, son grand-père, Sophie, etc,) qu'il arrive très bien à emboîter, et passe de l'un à l'autre avec une fluidité bluffante.
Il sait bien gérer le suspense et le rythme. A l'intérieur des chapitres ou même paragraphes, il se plait parfois à leurrer le lecteur sur une voie, pour désamorcer brutalement sur la piste qui se laissait esquisser.


Et bien évidemment, le propre de tous les bons écrivains, un fin psychologue, qui décrit avec justesse les mouvements de l'âme humaine.


Le thème du livre qui m'a semblé le plus remarquable, c'est celui de la relation avec Sophie. Il excelle dans cette la chronique de cette fin annoncée, dont chacun de ses spasmes est parfaitement diagnostiqué.
Il veille aussi à toujours maintenir un équilibre entre les personnages de manière à ce que le lecteur ne prenne pas partie. C'est habile, mais je ne mets même pas cela sur le compte de la technique littéraire, je l'attribue davantage à sa personnalité complexe et contradictoire.


Le thème du "grand-père" m'est apparu beaucoup moins digeste. Ce drame, dont ils en font des tonnes dans cette famille tiendrait à : 1) l'échec professionnel du grand-père 2) sa dépouille jamais retrouvée.
Tout juste si un "détail" était effleuré : c'était un fasciste convaincu et collabo dans la France de Vichy ! Gageons que s'il eut été résistant puis capturé et exécuté par les Einsatzgruppen, d'opprobre familiale, il n'y aurait jamais eu.


Emmanuel Carrère a un côté nombriliste, narcissique et égocentrique complètement délirant. Jusqu'ici rien de vraiment étonnant, les écrivains se servent bien souvent de leur état d'âmes pour créer. Mais dans cet ouvrage on sort carrément de la démarche littéraire pour s'inscrire dans le cadre de la thérapie. Non pas qu'il se serve de l'écriture à des fins thérapeutiques et pour partager une création avec le lecteur, mais plutôt pour se servir de lui afin d'exorciser son malheur. Comme si son processus de déculpabilisation familiale passait par la truchement d'un lectorat. Comme s'il devait forcément porter au nu chaque temps fort de sa vie afin d'en tirer une consécration ultime. Il nous refait le coup avec sa nouvelle érotique (dont il ne parvient pas à masquer qu'il l'a trouve géniale). Il se sent obligé de prendre à témoin des milliers de lecteurs pour exister. Son intimité est trop étriqué et peu glorifiante, alors pour que son bonheur soit total il veut qu'il soit exposé au vu et au su de tout le monde. En tant que lecteur on se sent instrumentalisé, et en fin de compte c'est très puérile et vulgaire.

dikiz
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le 27 févr. 2018

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dikiz

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