Dans la lignée de "L'Atroce Volupté", de Georges Neveux et Max Morey, cette courte pièce, composée d'une seule montée de tension dramatique, avec résolution sanglante en fin de compte, se réfère à nouveau au sadisme, à l'association entre la souffrance de celui qu'on veut soumettre érotiquement, et de la jouissance qu'en tire le prédateur.
Ici, la souffrance de l'autre ne passe ni par l'hypnose, ni par la jalousie, mais par la peur. Le "Prince" italien Attalonga séduit Lucienne, et, en pleine nuit, l'invite dans un "bouge", c'est-à-dire, ici, un bistrot de bas étage, peuplé de voyous et de malfaiteurs qui se disputent. Pourquoi le "Prince" agit-il ainsi ? Parce qu'il veut susciter la peur chez Lucienne, et, lorsque sa proie érotique est enfin terrorisée, il parvient au sommet du désir sexuel.
On est donc dans une perversion bien sadique, et Charles Méré ne se prive pas de donner à voir la violence et les agissements sinistres des voyous qui s'invitent dans ce rade mal famé. Attalonga (qui a visiblement fait le pari avec Lucienne de réussir à l'effrayer) va jusqu'à décrire avec complaisance les meurtres qui s'y sont déroulés, et à faire douter de sa propre identité de "Prince" en dévoilant (faussement ? On finit par en douter) qu'il n'est qu'un malfaiteur comme les autres, à la recherche d'une nouvelle proie. Ce qui donne du piquant à l'affaire, c'est que Lucienne a trouvé intéressant de se promener en pleine nuit en portant sur elle une véritable fortune en bijoux...
Beau rôle féminin pour Lucienne, dont on doit voir monter le peur, puis la panique; symétriquement, Attalonga doit passer du maintien d'un Prince italien digne de son rang à l'attitude d'un voyou vulgaire et cupide, dont les pulsions sexuelles s'aiguisent sans fard au fur et à mesure que l'angoisse de Lucienne s'accentue.
Le dénouement fait intervenir un comportement imprévu des autres consommateurs, et les capacités d'autodéfense de Lucienne, folle de peur...
Attalonga est manifestement un peu lourd et un peu rapide dans l'expression de son intention d'effrayer Lucienne. Il en reste la référence aux comportements de la racaille parisienne de l'époque et aux lieux qu'elle fréquentait.