Première rencontre avec John Irving et je dois dire que côté style, on a affaire à un grand écrivain. Non seulement le récit est parfaitement maîtrisé dans sa structure mais encore l'auteur distille dans ses mots un dosage très équilibré entre drame, humour, témoignage et réflexion. Une fois ce roman (un joli pavé, soit dit en passant) terminé, on peut difficilement le catégoriser. C'est un peu un ovni littéraire qui a sa propre vie, ses propres qualités et défauts.


Commençons par les qualités.
J'ai vraiment eu conscience qu'Irving écrivait dans le but de laisser une trace littéraire. On sent qu'il a fait sienne cette assertion de Thomas Hardy qui prétend qu'un écrivain digne de ce nom ne peut et ne doit pas embêter son lecteur avec une histoire et des personnages banals. Et personnellement, je trouve qu'il a bien raison ! D'ailleurs, les romans qui passent à la postérité remplissent tous ce critère essentiel. Et pour justifier cette théorie, Irving n'hésite pas à mettre le paquet sur Owen Meany, le héros de son roman, d'autant plus remarquable qu'il l'oppose à la banalité presque outrancière de son narrateur, son meilleur ami, et à la médiocrité de la société mesquine qui l’entoure.


Owen Meany (phonétiquement ça donne "mini") est un tout petit bonhomme, une espèce de pygmée qui aurait tout pour être le personnage le plus insignifiant qui soit : de très petite taille, d'un milieu modeste, du genre hurluberlu, doté d'une voix de crécelle, enfant unique, perçu comme un avorton avec des idées au-dessus de son âge, il constitue un anti-héros parfait. Et qu'est-ce qu'Irving se propose de faire de lui ? Un personnage immense, universel, un nouveau Jésus-Christ, rien de moins. "Une prière pour Owen" est clairement un roman messianique, c'est limpide comme de l'eau bénite et criant comme un chœur gospel. Tout au long du récit, l’auteur sème les indices en un puzzle habilement éparpillé puis recomposé. Owen est un nouveau Sauveur dont la Résurrection est aussi certaine que son origine est mystérieuse, son sacrifice et sa foi profonds et ses miracles avérés. Les êtres qui lui sont les plus proches sont facilement assimilables à des personnages de la vie du Christ : son père (Joseph), sa mère (Marie), son meilleur ami (Jean), sa compagne supposée (Marie-Madeleine), etc. De nombreuses scènes sont également des calques frappants de l’Ecriture Sainte chrétienne. Mais si Irving - qui semble apprécier les paradoxes et les contraires pour mieux s’en amuser – fait d’un nain un géant, c’est non seulement pour nous « initier spirituellement » mais aussi pour nous éclairer sur la guerre du Vietnam (1955-1975), traumatisme des USA, et nous faire traverser cette période elle aussi pleine de paradoxes et de souffrances humaines à travers les yeux d’une génération sacrifiée. Cet aspect du roman, très présent, fait froid dans le dos tout en étant subtilement traité, ni trop crûment ni trop discrètement.


Toutefois, malgré les grandes qualités littéraires que je reconnais volontiers à « Une prière pour Owen » - qui est considéré comme un best-seller par nos amis anglo-saxons (sélection du top 100 de la BBC) -, pour moi il présente deux défauts qui ont empêché mon adhésion pleine et entière : les longueurs narratives et le fait même qu’il soit étiqueté best-seller. Je commence par ce dernier point : best-seller ou non, un roman a droit à toute mon objectivité mais comme je n’échappe pas au conditionnement social, plus on m’a parlé d’un roman incontournable et plus, involontairement, je vais y placer d’espoir, m’attendant à être « littéralement transcendée » par ladite œuvre et quand ça n’arrive pas, ça me fait l’effet d’une douche écossaise : ma nature enthousiaste attend, chapitre après chapitre, que la flamme sacrée de la lecture addictive s’allume, frémissant à chaque étincelle, s’amenuisant dans l’ennui pour renaître de ses cendres tel le phénix dix pages plus loin… pour, au final, un résultat mitigé quand il aurait dû être orgasmique. Enfin, les longueurs dont souffre le récit et qui, au lieu d’amplifier l’intensité des émotions ressenties les ont au contraire émoussées au point que parfois, j’ai été très heureuse de participer à une lecture commune avec neuf autres comparses car nos échanges m’ont boostée et encouragée à m’accrocher.


« Une prière pour Owen » n’aura pas été le coup de cœur attendu, il n’est pas un best-seller ou un page-turner à mes yeux, mais il restera une lecture marquante et inaugure une exploration à poursuivre de l’œuvre d’Irving.

Créée

le 16 août 2021

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Gwen21

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