V
7.7
V

livre de Thomas Pynchon (1963)

J'imagine que ceux qui ont besoin de toujours et très exactement pouvoir dire en quoi et pourquoi ils ont aimé un livre doivent être un peu embêté avec Pynchon. Voire, ne pas trop le porter dans leur coeur, si par malheur ce qu'ils bichent, c'est le dogmatisme. Oui V, curieux marais. Sables mouvants dès le premier opus : plus on s'agite à expliquer, plus on s'enfonce. Mais à revenir vers soi, en soi, tout, tout de suite, se passe mieux. Ce n'est pas tant le silence contre la parole, mais bien plutôt la musique contre le discours.


La bombe si souvent mise en scène par le diabolique et divin Thomas, elle est peut-être là : saturer un texte de significations, mais faire en sorte qu'au moindre effleurement tout explose, que plus rien ne vaille la peine d'être dit tant l'important est dans l'implicite en train de prendre ses aises, pas dans l'explicite ennuyeux, froid comme la mort. De la littérature comme art de la mine : tout autant, et en même temps, celle remplie de diamants, que celle qui attend patiemment que quelqu'un lui marche dessus pour le déchiqueter.


Les aventures de Benny-oui-oui dans l'espace et le temps ont l'odeur vaguement effrayée, tristement effrayante, d'un monde où l'inanimé est en train de gagner. Les mentalités, les réflexes, les corps fascinés par la machine. Un seul phantasme inavoué : devenir simple objet. Prenons bien garde, c'est avant tout un problème exégétique : celui qui s'exprime pour être compris, celui qui cherche pour trouver, sont les deux agents les plus sûrs de la métallisation généralisée. A grands coups de petits riens, on dirait que Pynchon,lui, avance à pas de loup tout en hurlant. Une discrétion tonitruante, comme pour maintenir ouverte une dernière fissure sur la surface toujours plus lisse de nos réalités, triturer afin d'éviter qu'elle ne se referme une cicatrice qui fait souffrir, certes, mais qui est la dernière à assurer le va-et-vient du vivant.

Chaiev
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le 30 sept. 2012

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le 30 sept. 2012

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Chaiev

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