Au début, j'étais sceptique. D'ailleurs, j'ai été sceptique plusieurs fois tout au long de la lecture de ce livre, notamment quand il nous fait penser à du Bret Easton Ellis, avec ses personnages des hautes sphères complètement coupés du monde "réel", s'enfilant des lignes de coke comme on s'enfile du camembert avec un bon rouge, baisant des pornstars et baignant dans la thune. Et aussi quand Virginie Despentes essaie de nous faire rentrer dans la tête la "coolitude" absolue de Vernon Subutex, à coup de "il écoute du rock, il est célibataire, il se tape toutes les nanas faciles de Paname et il est ténébreux". Franchement, certains des personnages, on veut les voir crever, pour ce qu'ils sont, et pour ce qu'ils représentent.
Mais en fait, c'est génial. Déjà parce que l'auteure ne se contente pas de personnages de ce genre, mais brasse, de chapitre en chapitre, un très large éventail des différentes sociétés qui composent Paris et, par extension, la France et le monde. Subutex, personnage un peu effacé (finalement très peu présent), existe surtout via les personnes qui l'ont connu, et qui le retrouvent alors, maintenant que ce dernier est à la rue. Et de cette quête, pour lui, d'un abri, d'une solution à sa précarité, découle de longs chapitres dans lesquels des personnages hauts en couleur, gentils, voire adorables, détestables, normaux, inaccessibles et j'en passe, vont tourner autour de sa personne.
On y voit de l'homosexualité, de la réussite matérielle, des trans, de la richesse, de la pauvreté, de la dépendance, de la liberté, des vies détruites, de l'amour, du sexe, de l'ennui, de la haine bref, de l'humain. On se promène dans les bas-fonds de Paris jusque dans les appartements au sixième avec terrasse et vue sur la ville. Vernon, rencontrant ces personnes en cherchant presque systématiquement dans sa liste d'amis Facebook (ça en dit long), n'est finalement qu'un vecteur, un catalyseur de tout ce qu'on voit et ne voit pas quand on se promène dans une rue bondée.
Virginie Despentes cherche à brasser large et si, parfois, on ne peut s'empêcher de trouver ça légèrement (voire totalement) cliché, on ne peut que reconnaître le vécu derrière cette histoire. Pure spéculation, bien sûr, mais on sent que tout ça n'est pas qu'imaginé. On sent cette volonté de connaître les gens, de les connaître au plus profond de leur être, sans jamais, un seul instant, juger qui que ce soit, fut-il un pur facho de droite ou un total bobo. Et ça, c'est un sacré tour de force.
Je n'ai pas encore lu les deux autres tomes et j'espère être toujours autant absorbé par ces portraits modernes, en espérant que l'intrigue qui se met (très) doucement en place dans ce premier tome ne devienne pas trop lourde et tirée par les cheveux, comme j'ai pu un tout petit petit peu le craindre, sur la fin.
Wait & see.