Je prend ma plume pour t'écrire à nouveau Ferdinand (http://www.senscritique.com/livre/Mort_a_credit/critique/11709471), entre nous, on peut pas laisser de non-dits.


Tu m'as mis une belle claque au cœur avec celui là. Une qui laisse la marque de tes doigts trop crochus pour la tendresse.Je te comprends Ferdinand, en essayant de t'accrocher dans du vide, tu t'es crispé. Trop de rien, à force, ça use... C'est une claque d'autant plus retentissante que tu m' as assénée que t'es d'une honnêteté bouleversante jusque dans l'écriture. Les reproches que j'ai pu te faire dans mon message précédent concernant ta petite musique n'ont pas lieu d'être ici. C'est juste brut comme il faut. Ça vient de tout au fond de toi, au fond de ta petite nuit personnelle. C'est plein de lâcheté , c'est violent, c'est drôle à force d'être désespérant, c'est tellement humain tout ce que tu racontes.
En somme, c'est beau! Mais c'est aussi un livre dangereux pour ceux qui ont un peu de talent pour la tristesse...Ton livre, il fait comme des trous dans la journée pour laisser passer ce qui se trouve derrière: la nuit. Dans toute sa grande assemblée de ténèbres, dans toute sa beauté, dans toute sa tristesse et son absence d'espoir. Après t'avoir lu Ferdinand, on a envie d'être capable d'écrire comme tu le fais, tout en sachant que c'est pas possible. Tant pis. Dans chaque page de ton bouquin, il y a au moins une ou deux phrases qui m'ont coupé le souffle, et certains passages m'ont réellement touché.


J'ai aimé ta charge, ta petite croisade personnelle, contre la guerre, la patrie, le capitalisme.... J'ai aimé ce monstrueux crachat à la gueule du colonialisme, des petites gens, de la mesquinerie généralisée. J'ai aimé tout ça.Vrai de vrai! Mais Ferdinand, tu te doutes bien qu'on pouvait pas être d'accord sur tout. Je trouve que tu te roules un peu trop dans ta misère, elle est bien confortable pour cacher la lâcheté et la peur. Oh, je te le reproche pas. J'y ai goûté aussi à ces breuvages là. C'est juste que malgré toute la vérité que ton livre contient, tu occultes les lumières fascinantes de la nuit qui nous éclairent d'une autre manière que le soleil éclatant. Tu occultes le fait que là-bas, tout au fond des ténèbres, derrière tous les horizons, au bout de la nuit, il y a un soleil qui se lève, peut-être...


PS: Je ne résiste pas à vous mettre deux extraits du voyage, le reste du livre est du même acabit.


"Autant pas se faire d'illusions, les gens n'ont rien à se dire, ils ne se parlent que de leurs peines à eux chacun, c'est entendu. Chacun pour soi, la terre pour tous. Ils essayent de s'en débarasser de leur peine, sur l'autre au moment de l'amour, mais alors ça ne marche pas, et ils recommencent, ils essayent encore une fois de la placer. "Vous êtes jolie Mademoiselle", qu'ils disent. Et la vie les reprend, jusqu'à la prochaine ou on essayera encore le même petit truc. "Vous êtes bien jolie Mademoiselle!..."
Et puis à se vanter entre-temps qu'on y est arrivé à s'en débarasser de sa peine, mais tout le monde sait bien n'est ce pas que c'est pas vrai du tout et qu'on l'a belle et bien gardée entièrement pour soi. Comme on devient de plus en plus laid et répugnant à ce jeu là en viellissant, on ne peut même plus la dissimuler sa peine, sa faillite, on finit par en avoir plein la figure de cette sale grimace qui met des vingt ans, des trente ans et d'avantage à vous remonter enfin du ventre sur la face. C'est à ça que ça sert, à ça seulement un homme, une grimace qu'il met toute une vie à confectionner et encore, qu'il arrive même pas toujours à la terminer tellement qu'elle est lourde et compliquée la grimace qu'il faudrait faire pour exprimer toute sa vraie âme sans rien en perdre".




"Ce qui est pire, c'est qu'on se demande comment le lendemain, on trouvera assez de force pour continuer à faire ce qu'on a fait la veille et depuis déjà tellement trop longtemps, où on trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces mille projets qui'n'aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l'accablante nécessité, tentatives qui toujours avortent, et toutes pour aller se convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu'il faut retomber au bas de la muraille, chaque soir, sous l'angoisse de ce lendemain, toujours plus précaire, plus sordide.


C'est l'âge aussi qui vient peut-être, le traître, et nous menace du pire. On a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie, voilà. Toute jeunesse est allée mourir déjà au bout du monde dans un silence de vérité. Et où aller, je vous le demande, quand on a plus en soi la somme suffisante de délire? La vérité, c'est une agonie qui n'en finit pas."

Samu-L
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top 10 Livres, Louis Ferdinand Céline et Les meilleurs classiques de la littérature française

Créée

le 24 juin 2014

Critique lue 7.7K fois

116 j'aime

28 commentaires

Samu-L

Écrit par

Critique lue 7.7K fois

116
28

D'autres avis sur Voyage au bout de la nuit

Voyage au bout de la nuit
Vincent-Ruozzi
10

Le pessimisme sublimé

Voyage au bout de la nuit, le premier roman de Louis-Ferdinand Céline, n’est pas une œuvre ordinaire. D’une part pour la qualité du récit et d’écriture. D’autre part pour les convictions et...

le 9 avr. 2015

97 j'aime

13

Voyage au bout de la nuit
-IgoR-
10

Illustre inconnu

J’ai rencontré Céline par un hasard des plus fortuits. Comme ça. Un beau matin pas plus gris qu’un autre. Un jour comme y’en a pleins. Pourtant on se connaissait déjà tous deux, sans le savoir...

le 17 nov. 2014

86 j'aime

21

Du même critique

Star Wars - Le Réveil de la Force
Samu-L
6

Star Wars Episode VII: A New Hope Strikes Back

Divulgâchage épique dans ce billet!!! Au départ, j'avais décidé de pas intervenir. Je m'étais dis: " mon petit Sam, est-ce que ça vaut vraiment la peine de t'embarquer là dedans? Parce que tu sais...

le 18 déc. 2015

286 j'aime

97

Joker
Samu-L
7

Renouvelle Hollywood?

Le succès incroyable de Joker au box office ne va pas sans une certaine ironie pour un film qui s'inspire tant du Nouvel Hollywood. Le Nouvel Hollywood, c'est cette période du cinéma américain ou...

le 8 oct. 2019

235 j'aime

12

Monty Python - La Vie de Brian
Samu-L
10

I say you are Lord, and I should know. I've followed a few

On est en 1993, j'ai 15 ans (enfin plus ou moins), et je m'ennuie un peu en cette soirée d'hiver, je déprime pas mal aussi. J'allume la télévision et je zappe d'une série B à une série française...

le 4 mars 2012

206 j'aime

20