Le dégoût ; la misère humaine.

Voilà ce que Céline semble exprimer avec Voyage au bout de la nuit. Sombre et tortueux, ce périple d'un narrateur exécrant nombreux penchants de la race humaine semble vouloir remuer la crasse dans laquelle se trouve l'être humain. Remuer la crasse, ne pas l'en sortir, notez bien !
Pour cela l'auteur fustige le comportement finalement volontaire et inné de tuer (à la guerre ou non). L'être humain est fait pour procréer ? Céline voit plutôt en lui une volonté inconsciente de tuer l'autre ; et la guerre est un prétexte idéal, pour les soldats comme pour les civils, de donner libre cours à ses désirs enfouis les plus sordides. La première moitié du roman est pour cela parfaite, s'acharnant à détruire tout principe, à dénaturer la vie elle-même, à en extraire le jus purulent. En Europe comme en Afrique, il n'y a rien de beau, seulement la folie, la survie et cette inexorable échappée de la mort.
Le style adopté est efficace, mélange de langage parler populaire et de considérations plus littéraires. Cela renforce le côté autobiographique de ce qui est une œuvre de fiction.
Et le lecteur de s'enfoncer dans la nuit, dans la détresse humaine...

La deuxième moitié est un peu plus ennuyeuse, entre redites sans inspirations (quand la première est une mine d'or à citations) et rythme poussif. Malgré tout elle n'est pas inintéressante, loin de là, et apporte quand même quelques thèmes propre à elle. Ainsi l'être humain ne semble pas non plus fait pour aimer ; l'amour ne sert à rien, la place des femmes pour le narrateur devient celle d'un objet sexuel, la satisfaction d'un désir primaire. Après la construction de la "fonction" meurtrière, Céline enchaîne avec la déconstruction de l'idée d'amour.
Quant au narrateur, il ne s'enfonce finalement guère plus dans la nuit, laissant ce rôle à son compagnon (son double ?) Robinson, qui, lui ira de plus en plus au-delà des limites. Dans la folie ? Pas sûr, en tout cas dans une inconscience de certains de ses actes et de leur portée.

Inégale et un petit peu plombée par une fin poussive, Voyage au bout de la nuit reste un grand roman, que l'on se doit d'avoir lu, avec à l'esprit que c'est un livre très sombre, pessimiste et cru tant dans son vocabulaire que dans ses idées. Et ce même si l'auteur joue parfois dans un registre burlesque aux confins de la mort.
ngc111
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le 4 mai 2011

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