Le titre insiste sur la dimension linéaire du parcours qui sera à la fois celui du personnage-narrateur (Bardamu) et celui du récit. Le roman est donc transformé en "voyage", ce qui semble être en fait une suite d'événements dans une chaîne causale dont la fin (le bout) sera aussi la fin du récit et sa justification (l'horizon de "ce bout de la nuit" est posé dès l'abord, avant même la première phrase du récit.) Mais au-delà de la tension très perceptible entre un récit justifié par son parcours (le voyage) et par son point d'arrivée (le bout), ce titre a aussi une évidente dimension métaphorique, comme le montre la disjonction des champs entre l'idée de "voyage" - liée à l'espace - et la "nuit" - notion davantage temporelle. Le roman va donc raconter une parcours existentiel, pris entre temps et espace (le voyage est aussi du temps ; la nuit est aussi, par la dimension visuelle de la notion, de l'espace), mais il va aussi montrer la noirceur humaine (la nuit), l'ironie de l'existence (avec l'opposition voyage/errance), le tragique des misères individuelles (le malheur jusqu'au "bout").


La scène finale vient en quelque sorte incarner le lent délitement que tout le roman a mis en scène : trajet erratique plutôt que réel voyage, Odyssée inversée que vient conclure une scène hallucinée de tristesse mêlée d'ivresse, moment de double clôture : du roman (le remorqueur qui emmène le monde entier, et "qu'on n'en parle plus") et du narrateur au monde.
Loin de tout flamboiement, le dénouement du roman est renoncement à soi et au monde.

jerrej
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le 10 déc. 2015

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