White
6.3
White

livre de Bret Easton Ellis ()

White !
Un titre simple, à l'inverse de l'éventail de suggestions qui s'offre à nous face à la couverture de ce nouveau Bret Easton Ellis.


J'ai grandi avec Ellis, avec son analyse imagée et provocante d'êtres perdus, brisés sous le maquillage parfait qu'ils se doivent d'imposer à un monde auquel il faut impérativement coller.
Il est pour moi l'auteur du mensonge, du paraître, de l'attitude assurée d'individus brisés qui ne doivent en aucuns cas laisser la lumière pénétrer leurs multiples failles.
De Moins que zéro à Lunar Park, de l'adolescence à l'âge adulte, son oeuvre n'est que phobies intimes et vernis sociétal avec des personnages naviguant constamment à vue, entre l'être et le paraître, parfois jusqu'au grand écart, usant de tous les moyens nécessaires pour tenir, entre drogues, légales ou non, entre dépendances émotionnelles et affirmation de soi. Et qu'il s'agisse d'un Patrick Bateman, inoubliable Christian Bale, de Victor Ward ou d'Ellis lui même, la folie reste une constante plus ou moins marquée de ces romans.


Sulfureux comme à son habitude, cette première non-fiction de l'auteur, même si moins imagée et dérangeante qu'un American Psycho ou un Lunar Park, n'en reste pas moins une critique acerbe d'une société américaine qu'Ellis n'aura jamais épargnée, des rues de Los Angeles à Wall Street, des facs prestigieuses au monde de la mode.
Ici, avec une écriture simple, d'une fluidité appréciable, c'est plusieurs décennies outre atlantique que l'auteur va balayer, de l'art à la politique, de son enfance aux réseaux sociaux, du dictat de l'identification à la liberté d'être.
White est le syndrome de la page blanche, une toile vierge indécente de plusieurs millions dans une galerie d'art contemporain, une couleur de peau. White, c'est l'impérialisme américain, la pureté autoproclamée, le courant de pensée majeur duquel il n'est pas permis de dévier. White, c'est l'absence de nuances, la bannière unique. C'est choisir une boule de glace à la vanille pour ne pas faire de vagues.


Dans cette plongée au sein de tout ce que l'auteur rejette, qu'il parle de Trump, qu'il revienne sur ces précédents romans, sur des moments de sa vie aussi futiles soient-ils, sur le cinéma et les phobies des acteurs aujourd'hui généralisées à une société de mise en scène, c'est une ombre perpétuelle de jugement qui plane sur ceux qui oseraient s'éloigner de la toute puissante pensée majoritaire. Ellis s'inquiète que nous ne devenons que ce qui nous attirera l'approbation du plus grand nombre, de notre incapacité à aller affronter l'autre et ses opinions pour nous réfugier dans la chaleur réconfortante de ceux qui nous ressemble, que 140 caractères nous suffisent à cataloguer toute la complexité d'une personne pour la condamner ou la porter en triomphe.


Si ces pages ne sont que l'analyse d'un écrivain sur un univers hollywoodien duquel on est parfois très loin, sur un pays divisé derrière un président outrancier, on se rend compte qu'il décrit des phénomènes qui se fichent de notre lieu de résidence ou de notre statut. Bien entendu, vous apprécierez d'autant plus ce livre lorsqu'il fera écho à vos propres convictions et analyses et vous aimerez encore plus Ellis quand il semblera vous tirer les mots de la bouche.
Ironique pour un livre qui prône l'individualité et la pluralité n'est-ce pas ?


Chacun trouvera donc dans White ce qui l'intéresse et pour certains, le livre sera d'une vacuité rebutante, vacuité qu'Ellis affichait déjà dans Les lois de l'attraction. Et l'auteur profite de cette non fiction pour nous rappeler ces précédents romans, pour y rattacher sa propre existence, nous montrant finalement qu'il n'aura pas fallu attendre Lunar Park pour qu'il insuffle ses propres angoisses et sa vision du monde dans ses personnages les plus torturés et tortueux.


White est un titre changeant. White n'est valable qu'au début du roman. Plus on tourne les pages et plus il s'obscurcit. Si vous aimez ce qu'a écrit Ellis jusqu'à maintenant, si vous êtes sensible à sa manière de conjuguer futilité exacerbée et profondeur déguisée, de jouer avec la fragilité de l'individualité, ici face à l'assurance de la masse, et toujours avec cette volonté de sauver les apparences et de ne pas perdre la face, alors vous ne serez pas dépaysé.


Un livre qui parle d'aujourd'hui, d'hier, de nous, chacun noyé dans les yeux des autres, qui broie les apparences et implore la destruction du conformisme. White aspire à ce que notre pensée prenne de nouveau des risques, et à ses détracteurs de débattre plutôt que de nous lapider sur la place publique, et ne serait ce que pour ça, je vote BRET.

RicowRay
7
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le 4 avr. 2020

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