« L’écriture est le contraire du sable car c’est le contraire de la dispersion. »

Zabor a un don, celui de conjurer la mort. En couchant sur le papier les vies de ses voisins, il retarde leurs derniers instants. Dans son village, il est néanmoins vu comme un paria. Orphelin de mère et rejeté par un père tyrannique, il vit reclus avec sa tante dans une grande maison. Il dort le jour et erre la nuit, ne consacrant son existence qu’à la lecture et à l’écriture. Un soir, son demi-frère vient le chercher car leur père se meurt. Mais Zabor peine à trouver les mots pour sauver cet homme qui l’a renié.


« Il va mourir parce qu’il n’a plus de page à lire dans le cahier de sa vie. »

Le texte est construit au fil de la pensée de Zabor, le narrateur. Il nous livre son histoire, ses doutes, ses projets et ses réflexions sur son don. Construit à la manière des Milles et une nuits, texte régulièrement cité dans le roman, le récit se livre par petit bout. On y pénètre par allers-retours dans le temps et par association d’idées. Les pensées de Zabor se mêlent, parfois introspection et parfois description de l’instant.


A sa manière, Zabor est un dissident. Il refuse de se soumettre aux lois dictées au nom des textes sacrés. Il entend lutter par ses mots contre l’obscurantisme. La langue est le trésor qui lui permet de nommer les choses et les décrire avec précision. C’est une quête du texte ultime, du récit parfait qui l’anime. C’est son parcours depuis l’enfance, jalonné de revers et de désillusions, qui lui permet d’obtenir ce don. Il se bat pour acquérir cette langue, pour la maîtriser et l’employer. C’est par les mots qu’il se soigne et trouve sa place. Les livres sacrés, qui apparaissent un temps comme la solution, sont finalement délaissés pour faire place à la nécessité de l’imaginaire. Il porte une vision profondément laïque où les différentes croyances sont respectées et où les récits peuvent s’écrire dans toutes les langues.


Il aime une femme divorcée, une femme à qui il veut rendre son corps, sa dignité. Le livre est jalonné de réflexions sur les prisons que la religion construit pour les femmes. A la merci des hommes, elles payent leur liberté le prix fort. Hadjer, la tante de Zarbo, est condamnée à être vieille femme trop jeune. Banni par sa famille elle se consacre à son neveu et rêve devant des films indiens. Elle tient tête aux siens mais demeure à la marge du village.


« Abdel, toujours sec, a fait un geste brusque de la main, m’a écarté pour me précéder, a poussé le battant du portail et a crié un ordre pour que les femmes se terrent et disparaissent comme des hontes. »

A la fois conte et réflexion sur l’écrit, ce roman possède une grande puissance poétique. Kamel Daoud manie la langue de manière somptueuse. Par elle, il nous dit l’importance de la liberté, de l’imaginaire et des textes. Alors, régulièrement, on s’arrête sur une phrase pour la relire et en savourer la beauté. Une lecture à déguster.

Anaïs_Alexandre
10

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Créée

le 22 août 2017

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