Si j'avais su que ce livre s'attaquait au difficile problème du deuil, je ne suis pas certain que je l'aurais commencé. Je trouve rarement le malheur "télégénique" et un film comme "La Chambre du fils" de Nanni Moretti, par exemple, aussi touchant soit-il, m'avait un poil horripilé. Emmanuel Carrère n'a pas froid aux yeux en tournant ainsi le destin tragique de plusieurs de ses connaissances en matériel littéraire. C'est un pari plutôt risqué qu'il réussit heureusement haut la main, grâce à une écriture empreinte d’honnêteté (il me semble) et de pudeur.
Ce livre curieux raconte la genèse d'un projet d'écriture né de la catastrophe de 2004 en Asie du Sud -Est où l'auteur est témoin de la perte d'une enfant (et de quelques milliers d'autres personnes naturellement) ainsi que de la difficile fin de vie de sa belle-soeur, atteinte d'un cancer, quelques mois plus tard. L'une et l'autre s'appelaient Juliette. L'une avait 9 ans, l'autre la trentaine. Ces morts, l'une soudaine et inexplicable, l'autre longuement redoutée et tout aussi tragique, sont ainsi évoquées via le discours meurtri et compatissant de l'écrivain / ami. Les faits sont réels. La douleur aussi.
La première partie du livre évoque la tragédie du tsunami, vécu par des témoins qui ont échappé au malheur personnel mais ne peuvent échapper à celui des autres. C'est une description assez éprouvante de l'horreur de ces journées irréelles. Ce n'est pas la meilleure partie du livre je trouve (on se demande pourquoi il raconte cela en fait) mais ca reste impressionnant.
La deuxième partie est assez surprenante puisque mélangeant la douceur d'une amitié entre deux magistrats atteints de cancer, la technicité de leur profession, (beaucoup aimé découvrir le combat homérique de ces juges en faveur des pauvres gens endettés jusqu'aux yeux face aux énormes compagnies de crédit qui les massacrent) et enfin la douleur de perdre la vie face à cette saloperie qu'est le cancer , ce mal qui n'est autre que vous-même. Comme on le voit, il s'agit ici d'(in)justice, à tous les sens du terme...Carrère fait ici un travail quasi journalistique et en même temps fait honneur à un ami qu'il admire visiblement et qui inspira le livre. Il rend aussi hommage à sa belle-sœur de la plus belle des manières.
Après il faut admettre que cette lecture n'est pas aisée. Chacun ici réagira en fonction de sa sensibilité, de son expérience propre, jugeant peut-être le récit émouvant et courageux, ou au contraire trop personnel, trop intrusif, brèche peut-être trop franche dans le monde privé de l'auteur. Ce faux-roman reste pour moi en tout état de cause un très beau témoignage, dont on espère qu'il a agi comme un baume pour les personnes concernées.
A lire donc, guys et guysettes ,en sachant dans quoi vous mettez les pieds.... !