Je l'ai pioché dans la pile de livres de prépa de ma soeur. Peu épais, postfacé par Finkielkraut et semblant traiter d'un sujet actuel (bien qu'écrit en 71), j'ai choisi ce livre plutôt qu'un des 40 autres...


Et bien c'est très difficile de de critiquer. Dans quel mouvement intellectuel se place-t-il, qui est son auteur, pourquoi celui-ci accorde-t-il une place démesurée à ses compatriotes dans l'histoire de la pensée et de la poésie? De quoi parle-t-il exactement? Il faut une solide formation intellectuelle pour saisir le sujet du livre.


La clé se situe peut-être dans le dernier chapitre. En même temps que la disparition de la pratique du par cœur qui a forgé l'âme classique du 19ème siècle (et quand je dis âme classique, je pense à l'établissement d'un canon "classique" dans le domaine de l'histoire et des arts), la culture se désagrège. A la fois à l'intérieur d'une personne, mais aussi comme élément commun et structurant d'un groupe de personne (une élite, reconnait-il) et avec elle, l'intertextualité nécessaire à la compréhension d'une oeuvre. Je crois que c'est exactement cette intertextualité que je ne maitrise pas qui m'a empêché de "bien" lire ou du moins comprendre l'ouvrage.


Il se livre à l'exercice de saisir l'intertextualité de poèmes anglais pastoraux, du Milton dans lesquels on retrouve du Shakespeare, puis du Yeats, etc. Le poète pouvait faire de la poésie parce que son monde intérieur est capable de "saisir les noms et les formes qui l'entoure" (belle formule au passage) : les étoiles, les arbres et les fleur. Il connaît les légendes qui y sont associées et surtout, il "connait ses classiques". Aujourd'hui, c'est moins évident. Les classiques des "nouveaux" poètes seraient plutôt Scarface et Grandmaster Flash.


En somme, si je veux saisir toutes les références de ce livre, je dois être cultivé. Sauf que ma culture, n'épouse pas le même périmètre que celle de Steiner. Les poèmes anglais, la littérature anglaise, les penseurs anglais ne me sont pas familiers : pour ce dernier, je serais donc inculte. Cette remarque un peu naïve introduit selon moi la faiblesse du bouquin qui est la définition de la culture, ou au moins la détermination de son périmètre. Steiner le dit clairement : quoi qu'on dise, il y a plus dans du Mozart que dans des battements de tambour et du biniou javanais, même si ceux-ci nous viennent directement du fond des âges. Il y a donc une Culture, à qui on adjoint une majuscule et sur laquelle on se met d'accord. Celle-ci disparaît OK, mais on ne devine pas vraiment qui va la remplacer.


On décèle une piste dans la nouvelle manière d'écouter la musique : chez soi, à volonté, en bruit de fond d'autre tâche. Culture à emporter donc mais surtout culture qui se transmet par un nouveau langage non intelligible : celui de la vibration, de la sensation.


Un autre point, "promis" dans la 4ème de couverture est l'explication de la proximité spatiale, temporelle et par conséquent intellectuelle de Weimar et Auschwitz. Il me rappelle mon prof de philo qui invoquait régulièrement la figure de l'officier SS qui rentrait chez lui écouter du Beethoven et caresser la tête de ses enfants. On n'en apprend pas grand chose, sinon que maintenant on sait que l'édification par les humanités ne produit pas automatiquement des gens "humains", ce qui était le présupposé humaniste.


Je pense que j'ai raté trop de chose pour dire quelque chose de réellement pénétrant sur ce livre. Il me faudrait être un intellectuel anglais, convaincu de la prééminence intellectuelle de ses compatriotes, ou familier à cet univers pour vraiment "critiquer" l'essai que j'ai sous les yeux.


Une dernière chose cependant. Steiner parle beaucoup des juifs (de lui au fond). Il explique admirablement comment les juifs ont engendré les 3 vagues monothéistes, la troisième étant le marxisme, dont les manifestations épousaient parfaitement celles de la religion monothéiste judéo-chrétienne.


Un livre étonnant, à mon avis plus profond qu'il ne m'a paru au premier abord.

Fabrizio_Salina
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le 21 sept. 2014

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