La critique va être rédigée à chaud, parce que Laurent Gaudé écrit des romans qui sont un condensé de tout ce qui, selon mes critères, fait la littérature, à savoir un "sport de combat" qui prend l'éternité à revers. Et s'il doit y avoir un écrivain contemporain qui manie à la perfection le passage de l'antique au moderne, à mon sens, c'est Laurent Gaudé, en plus de faire des romans qui font tressaillir à la lecture, incroyablement humains et justes, c'est à dire prompt à bouleverser les idées reçues et acquises. Eldorado, publié en 2006, traitait par exemple de la crise des migrants et des dilemmes inhérents, soit presque dix ans avant que l'opinion publique soit émue par la photo, beaucoup plus visuelle, d'un enfant mort. à savoir donc, pendant dix ans des enfants sont morts, et personne n'a rien fait. personne j'exagère, mais l'idée est là. preuve s'il en est qu'une oeuvre d'art n'a pas vocation à changer une civilisation, mais est bel et bien une arme de persuasion individuelle. quand on oublie l'individu, l'art se fait propagande, ou destruction. et c'est de la destruction dont il est question ici, destruction d'humanité, destruction d'Histoire, destruction d'oeuvres. dans un roman relativement déconstruit lui aussi, mais dans lequel le génie réside dans la comparaison entre des conflits historiques et relativement similaires.
tout ça est un peu vain et m'amène à l'idée importante du livre, de la même façon que la bande dessinée de Luz ou Catherine Meurisse (j'ai essayé de ne pas trop non plus me lancer dans les récits post-attentat, parce que c'est potentiellement larmoyant et facilement dramatique, l'acte en lui même est à gerber, écrire dessus semble relativement aisé, j'avais pas trop envie de me lancer dans des trucs assez chiants susceptibles de tomber dans la critique anti musulman, voir pire, l'oeuvre politique.) suppose le même postulat, à savoir, face à la barbarie et à l'inhumanité, seul l'art (les Arts) semblent être une réponse suffisante. (l'art et la folie, deux domaines assez liés) pourquoi ? c'est assez simple en fait. la seule réponse adéquate face à des gens décidés, convaincus, persuadés, aveuglés par la volonté d'abandonner toute attitude un tant soit peu humaine, en faveur d'un comportement plus animal, bestial, c'est de chercher justement à dresser comme un étendard ce qui fait de l'humanité une réponse à la bestialité, en l’occurrence, l'art. le seul domaine potentiellement inutile, non-vital, dénué de sens absolu. les animaux ne font pas d'art, n'ont pas conscience de l'Histoire, et n'ont pas de conscience collective non plus, tout au plus une idée de meute liée à la survie. on parle pas forcément du beau, mais plus de ce qui fait le sacré, ruines ou reliques, vestiges de l'histoire collective, reliquats empreints de le force des évènements, un côté magique et fantastique, inexplicable. l'Homme ici, chez Laurent Gaudé, lorsqu'il cherche la victoire dans la brutalité, ne trouve que désespoir, solitude. Mais l'art ici n'est qu'une question sans réponse, un échappatoire pour ceux qui sont en perte de leur humanité. on ne sait toujours pas pourquoi l'art émeut autant, pourquoi untel est bouleversé par le pillage d'un musée alors que la destruction d'un village voisin finit par sembler anecdotique. Un roman sans réponse, mais lourd de sens, et je finirai simplement par l'épigraphe de Fear and loathing in Las Vegas de Hunter Thompson, Celui qui se fait bête se débarrasse de la douleur d'être homme.

D0kha
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le 11 sept. 2016

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