Contrairement à ce que laisse présager son titre racoleur L'homme qui se prenait pour Napoléon n'est pas un roman qui va explorer le délire d'un individu. Plus en accord avec son sous-titre Pour une histoire politique de la folie, Laure Murat se propose de revenir sur les liens entre psychiatrie et politique dans la période 1789-1871. Le choix de cette période qui paraîtra évident pour certains recouvre la succession d'insurrections populaires en France avec entre autres la Révolution, la Révolution de Juillet, celle de 1848, et enfin la Commune de Paris.


La psychiatrie naissante (qui ne portera ce nom qu'à partir de 1842) se personnifie grâce à la figure mythique de Philippe Pinel qui ouvre la voie au mouvement aliéniste et le traitement moral des "aliénés". Il instaure la séparation entre criminels et patients. Cependant, cette distinction n'empêchera pas certains hommes d'être retenus dans les asiles psychiatriques pour "folie morale" à l'instar du Marquis de Sade.


Laure Murat, s'appuyant sur les archives des asiles parisiens, vient souligner le lien qui peut exister entre psychiatrie et politique. Il en est ainsi de la psychiatrisation des personnes défendant la démocratie qui sera nommé "morbus democraticum". Les psychiatres courent le risque de se faire instrumentaliser au service du pouvoir. Aujourd'hui, cette tendance à la psychiatrisation est le fait aussi bien du pouvoir que des médias.


Un parallèle peut être fait avec l'actualité en ce qui concerne les idéologues modernes qui iront désigner une attitude de discrimination systématique envers un groupe non plus par un "-isme" (racisme, sexisme) ou un "anti-" (antisémite) mais par un suffixe médical et psychiatrique "-phobie". Il en est ainsi de la xénophobie, de la LGBTophobie, etc. Le choix de psychiatriser ces attitudes et croyances discriminatoires vient sous-entendre qu'il faudrait les "soigner", et non les éduquer. Ces mots à la définition mouvante peuvent également servir à esquiver les critiques de fond qui pourraient être légitimement adressés. Le cas le plus frappant est celui d'islamophobie/islamophobe qui semble aujourd'hui être de plus en plus destiné à faire taire un opposant idéologique et le "traiter" au prétexte de sa "phobie". L'actualité illustre parfaitement mon propos.


D'autres parties du livre illustrent bien des liens entre les évènements politiques et leur influence sur le psychisme des individus. L'exposé de ces études d'archives est véritablement passionnante.


Il est regrettable que dans la conclusion de son livre, Laure Murat se lance dans un parallèle discutable entre la situation des hôpitaux psychiatriques du XIXe et celle du XXIe siècle, alors que ce n'était pas le propos principal de son ouvrage. Cela n'enlève rien à la qualité du travail qui l'a précédé.

Quentin_Pilette
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le 9 févr. 2022

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