Si le terme de féminicide (meurtre d’une femme en tant que femme, en raison de son sexe) ne fait son entrée dans le dictionnaire Le Robert qu’en 2015, sa représentation dans les arts et cultures existe depuis la nuit des temps dans toutes les sociétés et sous diverses formes: sa normalité semble effarante. Yvan Jablonka, historien et essayiste, analyse avec pertinence l’illustration de la mise à mort des femmes au fil des siècles.


L’élimination des femmes est une thématique très ancrée dans la culture, et ce dès les écrits bibliques et la mythologie antique. Les scènes de mise à mort des femmes y sont en effet d’une violence incroyable et semblent servir de socle à la culture du féminicide. De la chasse aux sorcières répandue au Moyen-âge aux femmes aliénées et étudiées par le docteur Charcot au 19ème siècle, des représentations surréalistes et cubistes de la femme torturée jusqu’aux films d’horreur, la littérature, l’art pictural, la médecine, tant de domaines où le corps martyrisé des femmes est exalté de façon explicite! La méfiance envers les femmes, mais surtout la volonté de soumettre l’être considéré comme inférieur, donne lieu à des corrections qui servent également de modèle à celles qui menacent de sortir du rang… L’étude d’Yvan Jablonka est étaillée de documents d’époque, aussi révoltants que fascinants telles que les planches anatomiques datant du 15éme siècle, issues de séances de dissections publiques ou encore les modéles de céroplastie, nés au 18éme siècle, tels que la Vénus de cire avec parties intimes amovibles… L’aspect scientifique est contemporain des écrits du Marquis de Sade qui sont également évoqués. L’époque contemporaine et le cinéma gynocidaire d’Hitchcock ou de Bergman entre autres imposent le féminicide comme un genre à part entière, un « spectacle normal, divertissant et moral ». Bien qu’elle ne soit pas favorable au féminicide la culture gynocidaire se complait de cette représentation. Dans ce cas, comment ne jamais tolérer l’intolérable? Il est important de représenter le féminicide pour mieux le combattre, le point de vue, le regard doit alors être modifié et se porter sur ceux qui souffrent du féminicide, les victimes collatérales.


L’épanouissement social des femmes va de pair avec la culture du féminicide, « la torture est une manière de punir les unes tout en avertissant les autres« . Révoltant et réaliste. L’auteur de conclure que l’idéologie du féminicide est utile à la société puisqu’elle permet de « divertir, purger et ordonner », et la nécessité d’une contre-culture. J’ai trouvé cet essai très documenté aussi fascinant que passionnant, permettant de développer un important sujet de société. Merci aux Editions du Seuil via Netgalley pour cette lecture.

loeilnoir
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le 3 nov. 2025

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