La tentation de l'éternité

Je viens de terminer La Montagne Magique dans la traduction de Claire de Oliviera qui a aussi proposé la postface et un bon arsenal d'annotations.

Je ne sais pas si la traduction peut à ce point modifier la perception que le lecteur aura de l'œuvre, ce que je peux dire c'est que j'ai lentement dégusté ce chef-d'œuvre de la littérature européenne sans jamais m'en lasser.

Je comprends que pour certains lecteurs, la partie centrale du livre puisse s'avérer décourageante et qu'ils en viennent à poser là ce gros livre. Personnellement, j'adore ce duel intellectuel entre Naphta et Settembrini dont Hans Castorp, le personnage central, est le témoin passionné. Ce débat tendu et conclu dans le drame me parle et vient alimenter ma propre réflexion. En ces temps délirants que nous vivons, il est salutaire de pouvoir faire un peu travailler ses méninges en dehors du brouhaha médiatique qui ensevelit littéralement la pensée.

Le seul équivalent qui me vienne à l'esprit en matière de roman est l'Ulysse de James Joyce. C'est sans doute un peu bizarre de faire ce parallèle, mais c'est ainsi que cela se produit dans mon esprit.

Pour passer encore un moment à réfléchir à ce roman sur le temps, je pense également, mais dans un second temps, comme dans une inspiration fugace, au roman d'Houellebecq, certainement mon préféré de cet auteur : "La possibilité d'une île".

Hans me fait beaucoup penser à Daniel, comme lui tenté non par la mort, mais par la non-existence, la survie éternelle de l'unicellulaire. Seul un coup de tonnerre (titre du dernier sous-chapitre) extraira Hans de cette gangue mystique pour le projeter dans la gangue atroce et absolue du réel de la guerre de 14-18 et de ses tranchées.

Que dire de plus sinon que, étant écrivain moi-même, c'est le genre d'œuvre qui me fait poser ma plume quelques instants en me demandant quel intérêt il y aurait à proposer ma prose après un telle somme. Cependant, cette interrogation est encore plus lancinante devant la pléthore ahurissante de production livresque qui inonde les hypermarchés. Mais je crois bien que l'être de l'écrivain est étranger à la production de produits manufacturés, il est la situation particulière d'une âme offerte à la totalité.