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Attention : pour une grande partie de cet avis, je vais spoiler un élément important de Jane Eyre donc si vous ne l’avez pas lu, passez peut-être votre chemin. Donc pour celles et ceux qui ont lu le chef-d'œuvre de Charlotte Brontë ou qui s’en fichent d’être spoilés, voici ce dont parle La Prisonnière des Sargasses.


Le livre est écrit en deux parties. La première partie raconte l’enfance terriblement douloureuse, suffocante et âpre d’Antoinette (ou Bertha) Cosway puis Mason, avant de devenir dans la deuxième partie la femme de… Mr Rochester. Si vous avez lu Jane Eyre, vous l’aurez compris, Jean Rhys s’inspire de l’épouse folle enfermée dans le grenier de Mr Rochester et décide de lui donner vie et surtout une histoire. Notons qu’en donnant parole et corps à cette femme dédaignée et folle, Jean Rhys s’inspire également de sa propre vie, de sa propre enfance dans les Antilles notamment.


Tout d’abord, j’ai beaucoup aimé la première partie. On y suit l’enfance difficile de notre héroïne, sa grande solitude et son rejet par la communauté noire puis par sa mère, jusqu’à ce qu’elle soit placée en institution religieuse.


- […] Aussi, entre vous tous, je me demande souvent qui je suis, et où est mon pays et à quelle race j’appartiens et pourquoi je suis née, du reste !

Cette partie m’a beaucoup fait pensé au début de Jane Eyre, Rhys met les deux femmes en parallèle en quelque sorte, c’est-à-dire en montrant aussi pour sa personnage le rejet dans l’enfance puis la mise à l’écart à l’adolescence dans une institution au cadre religieux un peu austère. De même, les clins d’œil à Jane Eyre, surtout avec le thème du feu, sont nombreux, ce qui m’a beaucoup plu. Aussi, j’ai apprécié que, dans ce cadre de jeunesse, on montre que les paroles et les choix des adultes ne sont jamais réellement réconfortants, bien au contraire.


J’allais voir ma mère. [...] Elle faisait partie de Coulibri [le domaine où elle a vécu petite et qui a été incendié par les Noirs], qui avait disparu, elle avait donc disparu, j’en étais persuadée.

Et puis il y a cette enfance, cette atmosphère étouffante et ces personnages plus qu’ambivalents mais auxquels la narratrice s’attache, s’identifie, parce que même si tout cela est violent, c’est tout ce qu’elle a et a toujours eu.


Je n’ai pas l’habitude du bonheur, dit-elle. Il me fait peur…

Dans la deuxième partie, j’ai beaucoup aimé qu’il y est vraiment des passages qui portent une réflexion sur les différentes conditions des femmes.


- Toutes les femmes, de toutes les couleurs, c’est rien que des imbéciles. Trois enfants, moi j’ai eu. Un en vie ici-bas, chacun d’un père différent, mais pas de mari, Dieu merci ! Moi, je garde mon argent. Je le donne à aucun vaurien d’homme.

On montre que la folle du grenier est devenue folle aussi et surtout par les hommes, traitée comme une monnaie d'échange par ses tuteurs masculins puis traitée comme une étrangère par son mari, jusqu’à l’appeler par un prénom qu’elle n’aime pas et en lequel elle ne se retrouve pas.


[...] Et elle vous aime et elle vous donne tout ce qu’elle a. Maintenant vous disiez que vous l’aimiez pas et vous la détruisez.

Finalement, si les conditions étaient présentes pour sa folie, l’est-elle vraiment totalement, puisqu’il y a des actes réellement fous, mais est-ce de son fait ?


En revanche, je n’ai pas trop aimé dans la deuxième partie qu’on alterne, de façon assez peu fluide, les points de vue de Mr Rochester et celui d’Antoinette. De même, le traitement du racisme est un peu daté même si beaucoup plus nuancé que ce qu’on pourrait attendre. Enfin, je trouve qu’il y a quelques longueurs ou passages moins intéressants sur lesquels on s’attarde trop (avec Daniel notamment).


Bref, livre très intéressant tout de même et très fin psychologiquement que je vous recommande quand même (avec un certaine distance critique par rapport au traitement des relations entres personnes noires et blanches).

nemetira_
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le 23 nov. 2025

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