Il s'agirait de définir "cinéma d'auteur" avant de commencer à partir dans une abstraction "cinéma d'auteur = cinéma intimiste réalisé par un homme qui est considéré par un artiste par la critique et qui touche de l'argent public pour ça". D'autant que le livre démontre juste qu'il existe des regards d'hommes et des regards de femmes sur les relations homme-femme, la féminité et la masculinité etc.


Je passe volontiers sur les analyses filmiques (celle sur France de Dumont est très drôle : le film est misogyne parce qu'il moque la bourgeoisie journalistique incarnée par Léa Seydoux), les contradictions propre au propos qui ne voit du cinéma social que chez les femmes (bonjour l'essentialisme) mais qui n'aborde La vie d'Adèle que sous l'angle de la sexualité lesbienne (20 minutes sur un film de 3h), mettant l'approche social du cinéma de Kechiche sous le tapis. C'est assez hypocrite. D'autant que son approche du cinéma se limite à un refus complet de l'analyse esthétique (sauf quand ça l'arrange) pour une analyse social et base l'intégralité de son jugement sur ce seul aspect. Autre exemple, elle traite de Rohmer sans jamais parler de Conte d'été où c'est précisément le drageur qui est condamné par le film ou même dans Pauline à la plage où ce sont les hommes matures qui finissent par s'en prendre plein la gueule. A ce titre, elle condamne le cinéma dit "d'auteur" car autocentré et problématique dans sa représentation des relations homme-femme, du fantasme incestueux des réalisateurs (mais qui ? tous !).


Elle attaque le concept de politique de l'auteur, le voyant comme le concept charnière du système qui s'est mis en place avec la critique de la nouvelle vague. Réduisant alors, la politique de l'auteur à l'égocentrisme de l'artiste. Sauf que non, c'est en premier lieu pour faire d'un réalisateur comme Hitchcock, un réalisateur de premier plan, que cette notion a été développé (je résume vite fait). Afin de donner une légitimité à un cinéma qui n'était alors perçu que comme un bête divertissement. Artistiquement, elle fait du cinéma un art collectif. Sauf que non. Il y a une différence entre celui qui tient la barre et l'intermittent qui est là pour remplir son frigo.


Pourtant, je suis d'accord avec une partie de son propos. Il y a un certain cinéma d'auteur qui s'est construit un système, institutionnel et critique, pour légitimer les violences et abus sexuels. Oui, l'homme et l'artiste ne sont qu'un.


En revanche, il s'agirait de dire les termes sur ce qui compose ce système. Parce que la négation du social (qu'elle impute à la Nouvelle Vague), l'emphase sur l'esthétique (qui m'apparait comme nécessaire pour un film), ce sont des choses qui relèvent avant tout de l'art bourgeois. Ce que Geneviève Sellier passe sous silence, c'est que le système qu'elle dénonce, c'est un système bourgeois. Pourquoi le passe t-elle sous silence ? Ce n'est pas clair. Parce que pourtant, son approche du cinéma est centrée sur un jugement politique et social des films qu'elle analyse, distribuant les bons et les mauvais points en fonction des représentations qui ressortent des films. J'y vois une manière dissimulé de ne pas dénigrer aussi les réalisatrices dont elle parle en positif parce qu'elles sont toutes aussi bourgeoises que leurs homologues masculins. Et comme, on est aux éditions La Fabrique, ça fera un peu tâche de mettre tout le monde dans le même panier.


Son approche est misomuse. Elle cherche en permanence une morale, une leçon politique à tirer de telle ou telle représentation, sans jamais se poser la question de l'approche esthétique. Si ce n'est pour dire que le cinéma masculin est forcément autocentré et misogyne. Et que le cinéma féminin est idéalement un cinéma social qui s'ancre de vraies problématiques. Sauf que non. Et ses analyses démontrent précisément le contraire. Il n'y a pas un regard par genre. Il y a des regards. Comme dit plus haut, c'est d'autant plus hypocrite comme approche qu'elle passe sous silence l'aspect social de films comme La Vie d'Adèle, en le réduisant juste à des lesbiennes qui font les ciseaux. Puis en faisant l'emphase sur Catherine Corsini, tout en passant sous silence les accusations à son encontre.


Enfin, sur le système de financement qu'elle se plait à dénoncer. Certains réalisateurs profitent sous couvert d'art d'une protection financière payée par l'argent publique alors qu'ils usent de leur film comme d'un outil pour abuser de jeunes femmes ou qu'ils font tous les mêmes films avec un regard masculin unique et misogyne, tout en taisant l'aspect social de ce dont ils traitent (ce sur quoi, je suis moins d'accord). Argument sur lequel je suis partie d'accord, peut-être faudrait-il plus de femmes mais encore faudrait-il de bons films parce que veut Geneviève Sellier, ce sont des films de femmes, pas des bons films, juste des films de films. Moi, je préfère les bons films, indépendamment de si c'est un homme ou une femme qui tient la barre. Donnez moi du plaisir esthétique, une forme et un fond ! Pour revenir à l'économie, le bouquin semble défendre une économie de marché et une forte rentabilité pour les films, ce qui a terme mettrait en péril la création cinématographique, qu'elle soit le fruit d'un homme ou d'une femme.


Dans le fond, j'ai l'impression de lire une approche holistique de ce problème, approche qui s'entend très bien, mais qui se perd à mi-chemin en basant en partie son argumentaire sur de la critique cinéphilique pure. Le livre comporte, à mon sens, beaucoup trop d'analyses de films, réduit par le prisme d'une approche sociale. En se basant sur des cas particuliers, la généralité qu'elle vient à en tirer m'apparait comme faussée par son approche parce que limitée et souvent de mauvaise foi.

Adanberos
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le 13 févr. 2025

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