Pas du tout accroché à ce livre... Déjà, c'était mal parti vu que c'est la 4ème de couverture qui m'a fait acheter ce roman (n'ayant encore jamais lu de Silverberg auparavant)... sauf que ce qui nous y est vendu n'a pas grand chose à voir avec le produit final ("à la lisière du fantastique" et de la SF, passe encore... mais il faudra qu'on m'explique où sont la fantasy et l'horreur là-dedans).


Tout d'abord, le récit souffre de problèmes de rythme... Aucune péripétie majeure n'intervient avant la moitié (!) du livre, lorsque les protagonistes parviennent enfin à leur destination. Alors certes, ce n'est pas totalement inintéressant de se concentrer sur l'aspect road trip à la Kerouac, et ça permet d'explorer les personnages et les liens qui existent entre eux. Mais quand même, je m'attendais à quelque chose d'un peu plus palpitant. Et même lorsque nos 4 larrons arrivent à l'endroit tant convoité, ça traîne encore en longueur... Ces problèmes ne sont pas aidés par l'écriture souvent très ampoulée du livre, très intellectuelle... pour au final rabâcher souvent les mêmes concepts.


La seconde moitié du livre reste plus intéressante, sans offrir de surprise vraiment énorme (en dehors peut-être des révélations successives sur le passé des différents personnages, bien que celles-ci soient expédiées en quelques pages vers la fin du livre, sans que ça ait vraiment d'impact sur l'histoire - hormis celle concernant le personnage de Oliver - et de façon assez artificielle). Moi qui espérais ressentir quelques frissons, c'est raté... Même le dénouement final n'offre pas de véritable retournement de situation extraordinaire.

Ainsi, comme présagé par les personnages dès le début du livre, 2 d'entre eux trouvent la mort, et, comme on pouvait nous même le prédire en tant que lecteurs, l'avenir reste incertains pour nos 2 survivants. Vont-ils vraiment atteindre l'immortalité ? Ont-ils été dupés, brainwashés par la secte du Crâne ? Sont-ils voués à demeurer dans le monastère en tant que Fratres pour l'éternité ? Le livre laisse la porte ouverte à ces questionnements.


Ensuite, les personnages... Le mérite de l'auteur consiste à avoir réussi à dépeindre 4 portraits très différents les uns des autres, chacun avec ses (nombreux) défauts et ses qualités, avec ses forces et ses faiblesses. 4 antihéros névrosés qui vont être amenés à évoluer au fil de leur parcours et à être transfigurés par leur quête. Mais difficile d'entrer en empathie avec des personnages aussi détestables de bout en bout... La palme d'or étant remportée par l'ignoble Timothy.

Celui-ci, nous content d'être un fils à papa plein aux as, condescendant, imbu de lui-même et misogyne, a repoussé les limites de l'innommable en violant sa propre petite sœur mineure - gardant évidemment le secret de son crime pour lui et n'ayant à subir aucune conséquence, allant même jusqu'à minimiser l'impact de son acte sur sa sœur et prétendant être rongé par la culpabilité... alors que tout le reste du roman tendait à nous faire voir que ce bon vieux Timothy ne semblait pas trop avoir de problème à profiter de la vie en toute tranquillité d'esprit.


A vrai dire, nos 3 autres compères ne sont pas dénués d'intérêt. Il est sans aucun doute moins difficile de s'identifier à eux et de leur trouver des caractéristiques plus profondes et intéressantes. C'est sans doute sur ce point que le livre gagne en intérêt à mes yeux.

D'un côté, nous avons Oliver et ses traumatismes, sa rage de vivre et les dilemmes qui le tourmentent et qu'il s'efforce de cacher (incarnant par ailleurs de façon intéressante le thème de l'homophobie internalisée) - sans doute mon personnage préféré dans ce roman. D'un autre, Ned et son esprit poétique et pétri de contradictions, entre haine de soi teintée de pensées suicidaires et pleine assomption dépourvue de remords de son identité, oscillant tantôt entre sarcasme cynique, empathie et gentillesse sincères, et même jouissance manipulatoire. Et enfin, Eli et ses nombreux complexes, en apparence le plus doux et inoffensif, mais cachant une volonté et une foi inébranlable à accomplir son objectif.


En revanche, le livre souffre aussi d'un autre problème d'incohérence majeur lié à ces 4 personnages : le fait qu'ils soient dépeints comme de véritables amis dans toute la 1ère partie. Comment peuvent-ils accepter une seule seconde l'idée qu'ils vont devoir sacrifier - et même tuer de leurs propres mains - 2 d'entre eux au seul bénéfice des 2 autres ? Comment peuvent-ils accepter de subir - et de faire subir à leurs amis - les épreuves imposées par la Fraternité du Crâne ? Si on en suit le récit développé par Silverberg, ils sont tout simplement aveuglés, rendus fous par leur avidité et leur espoir d'accéder à la vie éternelle... Difficile alors de croire véritablement aux soi-disant liens d'amitié (voire même, selon les propres mots de certains des protagonistes, "d'amour") qui les unissent.

Cela devient d'autant plus clair avec le dénouement du livre, et l'absence quasi totale de réaction des 2 survivants face à la mort de leurs amis.


Pour finir, il y a un autre aspect du livre que j'ai trouvé vraiment gênant et qui a gâché mon plaisir de lecture. Il s'agit de l'omniprésence de la sexualité et de la misogynie tout au long du récit. En particulier dans la 1ère partie du livre, les passages dénigrant les femmes et dépeignant des obscénités se succèdent, parfois quasiment 1 à toutes les pages. Alors ok, je peux comprendre que les hormones soient en feu pour ces 4 types à peine sortis de l'adolescence dans l'Amérique libérée des années 1960... mais à ce point, c'est vraiment consternant. J'ignore dans quelle mesure cela révèle quelque chose au sujet de l'auteur, ou s'il s'agit simplement de la façon dont il a voulu dépeindre les personnages.

Au sujet des passages plus homophobes, je prendrai plus de pincettes dans la mesure où c'est sans doute davantage lié au caractère daté du livre, plus qu'à une véritable volonté de nuire. C'est déjà suffisamment bienvenue pour l'époque d'avoir un homosexuel parmi les personnages principaux, relativement accepté par ses amis et dépeint aussi sous un jour positif.

En vérité, j'ai l'impression que tout cet aspect à la fois misogyne et homophile/androphile du livre est très bien résumé par un de ses passages, lors de la révélation du grand secret d'Oliver : "Il continua à [...] m'expliquer que les femmes n'étaient rien d'autre que des bêtes et qu'il avait l'intention de l'en tenir à l'écart toute sa vie, et que, même s'il se mariait, il ne toucherait sa femme que pour lui faire des enfants, qu'autrement, question plaisir, il s'en tiendrait à des relations strictement d'homme à homme, parce que c'était la seule façon honnête et propre. On va à la chasse avec des hommes, on joue aux cartes avec des hommes, on se soûle avec des hommes, on parle avec des hommes comme jamais on ne parle avec des femmes, on s'ouvre vraiment, alors pourquoi ne pas aller jusqu'au bout et prendre son plaisir sexuel aussi avec des hommes ?".

Pour résumer : de nombreux hommes ressentent du désir sexuel pour les femmes, mais ils ne les aiment pas réellement pour ce qu'elles sont (tout au mieux, ils font preuve de bienveillance, de gentillesse envers elles), mais ceux qu'ils admirent, ceux qu'ils estiment vraiment, ceux qu'ils considèrent comme des modèles à suivre voire comme leurs idoles... ce sont bien souvent d'autres hommes.

EctoplasMan
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le 14 sept. 2025

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