Je suis assez partagée sur ce premier roman dont j'attendais peut-être trop.
D'un côté, nous trouvons la parfaite description du monde de l'éducation aux avant-postes de la crétinisation de notre société. L'effondrement de l'Education nationale est connu de tous ceux qui veulent bien s'y intéresser objectivement. Les analyses pertinentes ne manquent pas ( https://www.senscritique.com/liste/l_effondrement_du_systeme_scolaire_francais/3272477).
Delsart cerne également bien tous les travers qui mènent notre société à produire des « crétins », selon l'expression provocatrice de Brighelli. Les jeunes ne sont en rien responsables mais plutôt les victimes de « parents (et de) professeurs ( qui) ne leur ont jamais donné la moindre idée de l'honneur (…). ils se vautrent dans leur infâme mesquinerie et leurs grossières insolences sans la moindre honte. Et le plus désespérant (…) c'est que, loin de soupçonner seulement leur misère, ils se croient très instruits, au contraire, ce qui rend inéluctablement toute correction conflictuelle. C'est l'apanage de l'Education pour tous d'avoir produit en masse des ignorants pleins d'orgueil. » (p.83, Ed. Le cherche midi).
Les enseignants, formés non plus sur leur maîtrise d'un savoir mais sur des pratiques « pédagogistes » dénuées de fond et intéressantes seulement pour les adultes auxquels elles donnent l'impression d'innover, sont devenus aussi incultes que les « apprenant.e.s » et soumis à une entreprise de formatage par la médiocrité. Les pages sur la nouvelle entreprise de formation des « maîtres » qui ne doivent plus se considérer ainsi, l'E.S.P.E, sont assez croustillantes car très réalistes, assénant un discours rebattu : « Ce métier a changé, dit une formatrice qui a vite abandonné l'enseignement, il faut savoir s'adapter aux enjeux de notre monde et de notre société, les vieilles recettes sont dépassées. L'heure était au « pilotage pédagogique », au « tissage », à l' »encadrement » et à la création de liens. » » (p.144), un discours qui, depuis qu'il est ressassé, ne cesse de faire s'écrouler l'éducation.
Cela mène à la catastrophe « il fallait que les enseignants s'adaptassent à ce qu'on voulait que fussent leurs apprenants afin que ces derniers fussent adaptés à ce qu'on croyait que devait être leur société. » ( p.235) et on finance grassement de la propagande pour faire croire que le niveau monte au lieu d'augmenter les salaires...
Nous suivons donc les aventures de Théophile, jeune agrégé très doué, dans le milieu délétère d'un lycée comme il y en a tant.
Les scènes caustiques sont savoureuses, comme celles des différentes inspections où on lui reproche un langage trop soigné pour se faire comprendre des élèves qui peuvent être traumatisés par l'emploi du subjonctif imparfait et des notes trop basses qu'il est sommé de modifier avant les conseils de classe (p. 350). Je retrouve bien tout ce que j'ai vécu au cours de ma déjà longue carrière de professeur:-) ( le sommet, qui aurait bien trouvé sa place dans le roman, ayant été une inspection où on a reconnu ma maîtrise, l'efficience de mes méthodes pédagogiques formant parfaitement les élèves aux épreuves du bac, mais qui s'est terminée par le conseil de « varier mes pratiques pédagogiques »- sûrement trop efficaces aux yeux de l'inspecteur qui avait oublié que les élèves changent d'une année à l'autre ou avait peur que je m'ennuie. Ah non, j'oubliais la remarque furieuse d'un parent m'accusant de stigmatiser son rejeton en ayant mis plein de remarques rouges sur sa copie...)
Mais alors, pourquoi donc Delsart s'est-il cru obligé de faire intervenir le fantastique dans son roman à travers un personnage démoniaque ? Le monde de l'éducation était déjà suffisamment délirant pour ne pas en rajouter ! En plus, ce personnage n'apporte vraiment rien au sujet.
Pire : une histoire sentimentale avec une autre stagiaire vient diluer le propos et n'apporte là encore rien à l'histoire. Ajoutons à cela des coquetteries stylistiques comme des archaïsmes, des tournures littéraires un peu passées, et un roman qui aurait pu être percutant en devient un peu ennuyeux. J'attends avec impatience les prochains romans de Delsart qui aura certainement corrigé quelques imperfections.
Critique dédiée à tous les enseignants qui démissionnent en ce moment ( c'est l'hécatombe dans le primaire...) et à une amie chère qui vient de démissionner de l'Education nationale à 57 ans...