C’est un des livres les plus vendus en développement personnel.
C’est probablement ce qui me choque le plus. Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même, c’est le genre d’ouvrage qu’on vous recommande presque comme une évidence, un passage obligé dans le parcours de "guérison intérieure", avec cette promesse racoleuse :
« Comprenez vos blessures et vous changerez votre vie. »
Mais la réalité, c’est que ce livre est pour moi non seulement faible intellectuellement, mais potentiellement nocif.
Il y a dans la prolifération de ce type d’ouvrages un phénomène plus large, presque sociologique... Le développement personnel est devenu un marché. Un gigantesque supermarché de promesses, de solutions miracles et de raccourcis spirituels. Dommage, car je prêche moi aussi le travail sur soit et à bien des égards.
Sauf que ce livre est un best-seller non pas parce qu’il est bon, mais parce qu’il coche toutes les cases du produit attractif. Il est facile à lire, il réduit des problématiques complexes en quelques archétypes digestes, et surtout, il flatte le lecteur en lui disant qu’il peut tout comprendre, tout changer, sans remise en question profonde. Il donne l’illusion du travail sur soi, sans l’effort que cela implique.
Parce que oui, pourquoi s'emmerder la vie, alors que c'est si simple d'aller mieux... Ils sont con les autres de ne pas l'avoir vu plus tôt, franchement...
Alors rentrons directement dans le lard et vous allez voir que dès le début déjà, c'est assez costaud...
Dès les premières pages, j’ai senti un profond malaise.
Le postulat de départ, que notre âme choisit notre famille pour "travailler ses blessures", m’a tout simplement retourné. On ne parle pas ici de métaphores spirituelles ou de pistes de réflexion ouvertes. Non. Lise Bourbeau énonce cette idée comme une vérité absolue, une loi cosmique, sans jamais interroger sa validité. Là, on bascule dans une forme de dogmatisme inquiétant. Ce n’est plus du développement personnel, c’est une pseudo-religion. Pire, une morale inversée qui culpabilise les personnes qui souffrent, qui ont vécu des traumatismes réels, concrets, profonds… En leur disant que tout ça, quelque part, c’était "choisi". Ce genre d’argument est glaçant et si on le prend au pied de la lettre (comme beaucoup de lecteurs le font), il peut être destructeur.
Je ne suis pas allergique à la fiction, ni à l’imaginaire. Mais j’attends d’un essai ou d’un guide de vie un minimum de méthode, de nuance, et surtout de respect pour la complexité humaine. Ici, tout est simplifié à l’extrême. Cinq blessures. Cinq masques. Cinq profils. Tu entres dans une case, on t’explique pourquoi tu souffres, et voilà.
Fin de l’analyse. C’est un peu comme lire un horoscope, mais en plus culpabilisant.
Le style n’arrange rien. Mièvre, infantilisant, presque paternaliste par moments. Le livre semble s’adresser à un enfant de douze ans à qui on apprend la vie. Aucun recul critique, aucune réelle prise en compte de la complexité des vécus ou de la pluralité des approches psychologiques. Non, tout est ramené à cette grille simpliste. C’est cette rigidité qui, je pense, m’a le plus dérangé, cette impression constante que l’autrice ne doute jamais. Qu’elle a la vérité et qu’elle vous la sert, sans filtres, en vous expliquant presque que si vous résistez, c’est parce que vous êtes justement "dans votre blessure". Une méthode bien connue des discours sectaires.
Car oui, qu'on aime ou non ce livre. Qu'il ait pu faire du bien ou non à des personnes, il y a quelque chose de factuel...
Il coche toutes les cases de la dérive sectaire, surtout grâce à la manière dont ce livre devient une grille de lecture autoritaire dans la tête de ses lecteurs. Une fois qu’on a mis un pied dedans, il devient difficile d’en sortir, puisque chaque doute est interprété comme une résistance de l’ego, chaque critique comme une preuve qu’on est encore "dans sa blessure". C’est un piège logique redoutable. J’ai pu observer, de façon assez troublante, des personnes réorganiser entièrement leur manière de penser ou de juger les autres à travers ce prisme. C’est là que le livre cesse d’être un outil, même naïf, pour devenir une forme de conditionnement.
Puis il y a le fond scientifique, ou plutôt son absence totale. Aucun appui clinique, aucun lien avec des recherches reconnues en psychologie, en psychanalyse ou en neurobiologie. Juste des intuitions personnelles, parfois empruntées à d’autres courants ésotériques new-age, le tout présenté comme un modèle universel. Quand un livre comme celui-là est mis entre les mains de personnes vulnérables, en quête de repères ou de compréhension de leur mal-être, le risque est énorme. C’est un peu comme tendre une boussole cassée à quelqu’un perdu dans une forêt, non seulement on ne l’aide pas, mais on peut l’égarer plus loin encore.
Je comprends qu’il ait pu en « aider » certains.
Qu’on puisse trouver du réconfort à mettre des mots sur des douleurs diffuses. Mais ce n’est pas un livre que je peux recommander, encore moins défendre. Sa popularité démesurée est symptomatique d’un marché du développement personnel qui vend plus d’illusions que de vérités. Et en voilà le boss final! Parce que ça décrédibilise tout un pan de la réflexion sur soi, alors qu’il existe des approches plus sérieuses, plus nuancées, plus humaines.
On l'ouvre, simplement, avec la promesse simple de trouver 5 leviers clairs...
Soudainement, attaqué par le fameux "vos vies enterreurs sont la cause de vos malheurs" imposé, non pas comme une théorie ésotérique, mais comme un fait établi. J'imagine que si j'écrivais aussi un livre que je nommerais 5 Méthodes pour se sentir mieux avec pour avant propos le fait que nous soyons en fait tous dans une simulation informatique, dominé par des fourmis, j'aurais aussi du succès?
J'écris sans vouloir faire du mal aux personnes qui ont apprécié cette lecture. Je serais ravis d'apprendre qu'ils/elles vont bien aujourd'hui, comme on pourrait voir ça vie changé après que n'importe qu'elle œuvre de fiction nous ait profondément touché... Mais partir de tel postulat en montrant qu'on est pas le problème, c'est quand même assez curieux et inquiétant.
En résumé ? Un livre qui, derrière ses allures de guide bienveillant, diffuse un message dangereux, d'abords déculpabisateur, puis culpabilisant et trop rigide. Ce n’est pas juste un mauvais livre, c’est un mauvais signal envoyé à des milliers de lecteurs qui cherchent à aller mieux.
Pour vous le prouver, je vais vous dévoiler mes biais aussi... Toutes les personnes que j'ai pu fréquentés, ayant lu et apprécié ce livres sont des personnes terriblement problématiques. Avec une quasi incapacité de voir le réel et de se dire qu'ils ont été le problèmes à tel endroit, rendent leurs morales difonctionnelles. Puis, comme déjà dit plus haut, j'ai un gros problème avec tous style de croyances et l'ésothérisme/new age en tête d'affiche... Mais vous savez quoi? Ce n'est même pas ça que je reproche à ce livre.
Je reproche plutôt à Lise Bourbeau, comme à bien de ces nouveaux gourous d'éluder l'effort et le travail sur soit, en allant chercher des réalités cosmiques pour expliquer le mal qu'on peut générer.
Quand on lit Lise Bourbeau après avoir étudié ou même simplement parcouru des auteurs comme Carl Rogers, Irvin Yalom, Alice Miller ou même Christophe André, ou même n'importe qui vous ayant donner un conseil, un minimum pertinent, l’écart saute aux yeux. Là où ces penseurs proposent des cadres souples, des observations cliniques, des récits incarnés, Bourbeau propose des schémas rigides. Là où ils ouvrent des possibles, elle fige des vérités. L’un invite à l’exploration, l’autre impose une cartographie. On peut difficilement les mettre dans la même catégorie, et pourtant ils partagent souvent les rayons des mêmes librairies.
La plus triste et vous vous en doutez, c’est qu’ils exploitent un besoin très légitime... Celui de comprendre sa souffrance et d'essayer d'aller mieux.
Mais il s’engouffre dans les interstices de la douleur, là où les réponses manquent, et il propose des récits prêts à consommer. Et oui ça marche, parce que c’est rassurant d’avoir un nom à mettre sur une faille, un masque à identifier, un schéma à reconnaître... Tout en oubliant la simplicité de la chose, sans qu'elle ne soit suspecte...
Mais cette séduction du simple est souvent l’ennemie du vrai. Le travail sur soi n’est pas un chemin droit balisé de 5 panneaux indicateurs. C’est sinueux, ambigu, parfois humiliant.
Et surtout, ça demande du doute. Choses que vous ne retrouverai pas dans ce livre.