le 20 oct. 2020
Vanité des certitudes
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Karine Tuil choisit, à travers son roman Les choses humaines, de s’intéresser au sujet du traitement des violences sexuelles dans la société française depuis #MeToo à travers le prisme de la fiction. Elle nous conte l’histoire d’une plainte pour viol, déposée par une jeune fille à peine majeure, qui accuse le fils de la nouvelle compagne de son père de lui avoir imposé des rapports sexuels.
L’intrigue se structure autour de nombreux personnages secondaires, les plus importants étant sans doute les parents d’Alexandre, Jean et Claire Farel, grands bourgeois, le premier journaliste très renommé et haut placé et la seconde normalienne, essayiste à succès et “féministe”. Le portrait que l’autrice dresse de Jean Farel est très intéressant, car il incarne l’homme de pouvoir et en coche toutes les cases : sa femme, de 30 ans sa cadette, sera remplacée à leur séparation par une femme de 25 ans avec laquelle il aura un enfant, lui-même étant âgé de 70 ans. Son obsession du contrôle, sa peur de la vieillesse et la domination qu’il exerce sur tous les autres personnages (dont la violence domestique qu’il impose à son fils) font de lui un personnage représentatif de son statut social, qui décrira le viol reproché à son fils comme “vingt minutes d’action” (on reconnaîtra ici la référence à l’affaire de Stanford ayant eu lieu en 2016). Claire Farel, quant à elle, est une féministe libérale également issue d’une classe privilégiée. Son entrée dans le roman se fait par sa prise de position quant à des agressions sexuelles commises en Allemagne par des personnes immigrées dans le pays. Au fil des lignes, Claire se retrouve confrontée au fait que sa vie tout entière (celle d’une femme privilégiée, au fort capital culturel et social) est en contradiction avec ses idées féministes (libérales), si bien qu’elle se retrouve à défendre son fils en niant la version de la victime face au père de celle-ci, qui n’est autre que son compagnon de l’époque. A travers ce personnage, il semble que l’autrice cherche à mettre en lumière les différentes strates du continuum de la violence masculine, notamment dans le chapitre dans lequel Claire décrit ce qu’elle a subi au cours de sa carrière suite à sa lecture de la tribune “pour la liberté à être importunée”, autre référence au réel qui matérialise le fort ancrage de cette fiction.
Le personnage d’Alexandre est quant à lui dépeint comme ayant des comportements problématiques avec les femmes, puisqu’il est introduit dans le roman alors qu’il harcèle son ex-compagne (qui viendra le défendre à la barre…) car celle-ci l’a quitté et a coupé tout contact, après avoir avorté, pour favoriser sa carrière politique. Durant tout le roman, Alexandre ne fait montre d’aucune empathie pour Mila, la jeune femme qui l’accuse de viol, et adopte ainsi un comportement assez typique des agresseurs sexuels et violeurs.
La voix de Mila, pourtant, nous tardons à l’entendre : c’est seulement dans la dernière partie de l’ouvrage que celle-ci s’exprime à la première personne, lors du procès, en écrivant un billet de blog dans lequel elle exprime son vécu et ses traumatismes. Ici encore se ressent un fort ancrage dans le réel, renvoyant aux témoignages des victimes sur les réseaux sociaux, seul espace où elles peuvent s’exprimer pour être entendues. Si l’on comprend le projet de l'autrice avec ce texte (confronter son lectorat au déroulé d’un procès pour viol, nous placer en fonction de juré en quelque sorte), on peut un peu regretter ce manque de place fait à la victime, minime comparé aux lignes dédiées aux pensées et ressentis de l’accusé. De plus, on peut remarquer que cette fiction ne reflète qu’une infime partie du réel : une plainte donnant lieu à un procès (déjà un fait rare en France), mais en plus à un procès aux assises. Si cela est rappelé dans le texte et qu’on en comprend la visée, il est important de dire que l’immense majorité des affaires de violences sexuelles n’ont pas ce traitement.
La partie dédiée au procès est intéressante et donne à voir les rouages du monde judiciaire et les rapports de domination qui le traversent (rappelant à ma mémoire le très bon Anatomie d’une chute), notamment lorsque l’avocat général refuse de requérir la prison ferme pour ce jeune homme ambitieux (et surtout symbole de la puissance bourgeoise et de l’élitisme national) alors que la peine maximale pour viol est de 20 ans de prison ferme. L’épigraphe de la troisième partie analyse les déterminismes qui contrôlent les condamnations dans les affaires de viol. En ce sens, le dernier chapitre du roman atteste qu’Alexandre, pourtant condamné, n’a pas eu sa vie gâchée, loin de là, son avenir est toujours prometteur. L’absence de chapitre sur l’après procès de Mila est encore une référence au réel : inconnue du grand public, sa trajectoire n’est plus sujet de discours public après le procès dans lequel on a disséqué violemment sa vie. C’est à mon avis par ce silence que l’autrice incarne un déséquilibre final, toujours présent après le procès.
Dans ce dernier chapitre, Karine Tuil décrit un système contractuel de consentement auquel Alexandre a recours après sa condamnation. Elle met ainsi en mots les craintes conservatrices quant à l’évolution contractuelle des relations sexuelles entre femmes et hommes, mais montre que même dans ce contexte, le consentement est révocable. Ces dernières lignes laissent tout de même une étrange impression, pourquoi mobiliser cela à la fin du récit ? On peut l’interpréter comme le fait qu’Alexandre, loin de prendre en compte la volonté des femmes, souhaite se couvrir comme le faisait son père. Mais certains lecteurs pourraient y voir une amélioration chez ce personnage, qui à mon sens est loin d’avoir changé de vision sur les femmes.
Ce roman présente un intérêt certain et permet de se confronter au contexte actuel du traitement des violences sexuelles, en proposant une analyse assez fine des différents leviers de la domination masculine. Il n’en est pas pour autant sans faille, au sens où selon ma lecture la parole de la victime est sous représentée, dans un scénario presque idéal en ce qui concerne le traitement judiciaire.
Créée
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