Pascal Quignard m'a été présenté comme un écrivain inclassable, capable de tisser des ponts entre les mondes—entre littérature et philosophie, histoire et mythologie... Les Désarçonnés, neuvième volume de son cycle Dernier Royaume, a constitué mon entrée dans son oeuvre. L'ouvrage s’inscrit pleinement dans cette veine érudite et fragmentaire qui a fait son succès. Pourtant, malgré quelques très beaux éclats stylistiques, je trouve qu'il est assez peu convaincant sur le fond.
On ne saurait nier la beauté de certains passages. La langue de Quignard, ciselée, souvent poétique, touche parfois juste. Il y a des moments de grâce où une image, une anecdote tirée de l'histoire, un aphorisme surgissent avec une intensité saisissante. Mais cela ne suffit pas à masquer les limites d'un ouvrage qui donne trop souvent l'impression de substituer l'érudition au développement réel d'une pensée.
Le choix formel d'une écriture du fragment, du discontinu, du chapitre lapidaire peut bien sûr se justifier esthétiquement. Il s'inscrit dans une tradition littéraire et philosophique qui valorise la discontinuité et l'intuition fulgurante ; chez Roland Barthes par exemple—notamment dans Fragments d’un discours amoureux—la forme brève permet des variations, des reprises, des résonances, des déplacements qui enrichissent le propos.
Chez Pascal Quignard, en revanche, la réflexion philosophique qui traverse les brefs chapitre reste étonnamment superficielle. Non pas parce que les thèmes abordés manqueraient d’intérêt—bien au contraire—mais parce qu’ils sont traités de manière trop allusive, comme survolés, ébauchés plutôt que réellement pensés. Trop souvent, Les Désarçonnés semble se contenter d'un collage de références savantes qui, au lieu d'étayer une réflexion, semble surtout combler un vide spéculatif ou chercher à produire un effet d'intimidation intellectuelle afin de susciter l'assentiment.
Au final, Les Désarçonnés laisse une impression ambivalente : c'est un livre traversé de fulgurances, mais qui, en refusant de véritablement approfondir ses intuitions, demeure étonnamment pauvre sur le plan philosophique—et par endroits, inutilement alourdi par des développements symboliques qui sonnent creux. Quignard veut éblouir par sa culture et son style, mais l'éclat masque mal, à mon sens, la fragilité du fond.