Critique de Martin Eden (trad. de Philippe Jaworski)

Résumé

Un livre formidable qui aborde avec une grande pertinence la question des classes sociales et du monde littéraire.

Détails

Martin Eden est un marin, prolo, vivant dans des conditions plus que précaires autour de San Francisco. Mais quand il rencontre la charmante Ruth, des ambitions l'assaillent. Il se rêve écrivain de renom et se lance dans une lecture compulsive de tout type d'ouvrages.

La violence symbolique et le mépris de classe parsèment le récit, mais Martin, d'abord aveuglé par le prestige présumé qu'il affuble aux bourgeois·e·s, passera outre pour se faire aimer de cette classe bourgeoise en souhaitant en adopter les codes sociaux. Ou du moins ceux qu'ils pensent être les leurs.

La quête de Ruth et celle de la gloire littéraire s'entremêlent constamment, jalonnant le récit d'éléments tout aussi chaotiques que ceux que pourraient causer une longue aventure maritime sur un rafiot.

La métaphore filée du marin ne quittera pas les chapitres écrits par Jack London, tout comme l'excellent portrait qu'il dresse de personnages plus ou moins représentatifs de groupes sociaux distincts. Tout cela donnant à l'ouvrage une portée politique très intéressante, notamment sur le sujet du transfuge de classe, dont le terme est aujourd'hui souvent repris avec plus ou moins de discernement. La place donnée aux descriptions relatives au travail, et à la fatigue qu'il procure est également un point très positif du roman tant il permet de replacer la question des conditions d'existence au centre du regard.

Ainsi, Jack London réussit à parler d'amour en y ajoutant une dimension politique d'une grande acuité, avec style mais sans être pompeux. L'une des grandes qualités du récit résidant d'ailleurs dans la manière dont l'état d'esprit de Martin est palpable à travers les choix d'écriture de Jack London. Notamment dans la place donnée à ce qui obsède et mine Martin, en opposition à la fulgurance de certains évènements.

On pourra toutefois regretter un certain sexisme dans la manière dont est dépeinte Ruth, souvent ramenée à son statut de femme vierge et réifiée. Le contexte et l'époque ne justifiant pas tout rappelons-le.

9/10