Inédites ou déjà parues dans des revues, les huit nouvelles qui composent ce recueil ont en commun la « Première personne du singulier » : un « je » qui ne cesse de jouer sur une ambiguïté malicieusement entretenue, ni tout à fait l’auteur, ni tout à fait un autre, et qui semble nous inviter à une conversation amicale où l’on évoquerait avec nostalgie l’ombre de quelques vieux souvenirs.


Ainsi, mêlées, comme autant de rappels de leur nature imaginaire, de détails poétiques, oniriques, ou même franchement fantastiques, ces confidences à mi-voix où se multiplient les références au véritable vécu de l’auteur – ses goûts de mélomane, lui qui eut un club de jazz à Tokyo ; sa passion pour le base-ball ; ou encore le décor de la ville de Kobe où il a grandi – instaurent un sentiment d’intimité complice pour nous emmener dans ce qui ressemble à une réflexion, pas si à bâtons rompus que ça, sur les hasards et les bifurcations de la vie.


Des rencontres fortuites et sans lendemain qui laissent pourtant des traces indélébiles ; des faits à première vue insignifiants, mais qui résonnent encore dans la mémoire des décennies plus tard ; des rêves et des situations imaginaires aux prolongements néanmoins étrangement réels : autant de petits cailloux, qui, anodins individuellement, tracent ensemble comme l’idée d’une trajectoire, peut-être le destin d’un homme capable de ne s’en apercevoir qu’avec le recul de l’âge.


Alors, peu importe au fond la part de vérité ou de fantaisie dans ces huit petits contes, drôles ou graves. L’une et l’autre s’interpénètrent et se nourrissent, révélant tout autant l’homme derrière l’écrivain, en une composition dont « il n’est pas exclu, écrit-il, qu’elle constitue aussi comme une courte biographie d’un être humain, moi-même », mais qu'il conclut sur un clin d'oeil : « Je crois que j’avais peur. J’étais saisi d’angoisse à la pensée qu’un je, qui n’était pas le vrai moi, ait fait quelque chose d’horrible (…). Et j’avais peur aussi que quelque chose à l’intérieur de moi, dont j’ignorais tout, soit exposé en pleine lumière ». Comme si, soudain pris de timidité, son « je » couché sur le papier craignait de se voir transformé par ses lecteurs en un « il » où il ne se reconnaîtrait plus.


Humour et nostalgie imprègnent ce drôle d’autoportrait en pointillés du célèbre romancier japonais, dont cette ultime acrobatie préserve tout le mystère.


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Cannetille
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le 18 mai 2022

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