Lu en Mars 2020 9,5/10
Comment parler de ce monument de la littérature. Tout d'abord je ne m'attendais pas tout à fait à ça. Je m'attendais à quelque chose de bien moins ancré dans la réalité, plus fantastique. Finalement je m'attendais à un Candide en plus sombre. Et c'est pourquoi les 100 premières pages ont été très longues. Directement dans le creux de la guerre, avec un style aussi sale que son histoire. Je ne voyais pas où l'auteur voulait m'emmener, qu'est ce qu'il raconte, quel est son propos, pourquoi je lirais un énième discours sur la guerre. Mais non c'est bien plus que ça. Non seulement j'ai été ravi par le côté voyage qui nous embarque en Afrique et en Amérique mais surtout ce n'est pas un discours sur la guerre. C'est un discours sur l'Humanité. Sur l'épouvantable nature de l'Homme. Bardamu est un magnifique jet d'art d'homme sans intérêt. Lâche, infidèle, plutôt mauvais dans sa profession. Mais si il est sans intérêt dans la vie, il est terriblement intéressant lui et son alter-ego Robinson. Dans ce monde, le diable ne se cache pas dans les détails non, il se voit comme le nez au milieu de la figure. Et pourtant chacun meut son irrespirable barda.
Céline dans son livre s'attaque à de nombreuses dérives. La guerre tout d'abord (bien qu'elle lui apparaisse comme intrinsèque à la nature humaine). Ainsi il nous fait par de son expérience et de son refus catégorique de la guerre. C'est un anarchiste qui veut la paix, ou du moins la paix pour lui. Critique de la colonisation ensuite, qui ne fait de bien ni aux populations locales ni aux colons européens. Critique de l'industrialisation et du fordisme. Plus encore et plus généralement de l'instrumentalisation des Hommes pour les Hommes et par les Hommes. Les Américains sont réglés comme des machines pour ne pas vivre et pourtant il existe certains bouts de tendresse, de l'amour de la part d'une marginale (Molly prostituée). Là où l'amour systématique, irréfléchi de Madelon mène à la mort et à la douleur. Critique enfin de la médecine, tout est corrompu, tout n'est qu'argent même quant il s'agit de sauver des vies. Et peut-être que c'est normal. Le tout est teinté d'un proéminent regard pessimiste et misanthrope. Pourtant ce n'est pas un livre déprimant. C'est un livre qui montre où sont les écueils à éviter. Si Céline est plus mué par la Haine et par le désespoir soit. A chacun de tirer parti de ses mises en garde pour faire de sa vie la moins triste possible. Et après tout, il faut vraiment qu'on vous veuille du mal pour que ça soit les autres qui vous tuent (comme le démontrer la vieille Henrouille).
Ainsi, ce livre est un monument. Si il m'a été difficile d'appréhender l'introduction, je pense qu'en la relisant aujourd'hui j'aurais bien moins de mal. Le style de Céline est beau, prête à réflexion. Sa construction narrative est monumentale, austère mais pourtant croissante vers l'apogée d'une fin de roman presque trivial. C'est très fort d'avoir réussi à me séduire avec une œuvre qui ne donne rien à croire en rien.


« L'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches »
« Ils en ont de l'amour en réserve les gens. Ca ne sort pas voilà tout. Ils en crèvent en dedans, d'amour ».
« La guerre avait brûlé les uns, réchauffé les autres, comme le feu torture ou conforte, selon qu'on est placé dedans ou devant »
« Il ne faut jamais se montrer difficile sur les moyens de se sauver de l'étripade »
« Ce serait pas si bête si il y avait quelque chose pour distinguer les gentils des méchants »
« Faire confiance aux hommes c'est déjà se faire tuer un peu »
« Imaginer les hommes tout nu c'est un bon truc d'imagination. Leur sale prestige se dissipe, s’évapore »

Arimaakousei
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le 24 mars 2020

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