Oui, je veux mettre ce morceau de glace sur mon cœur.

Le Voyage autour de ma chambre est un livre parfait, concis, plein d’esprit, agréable, et simple.

C’est un livre parfait et pourtant je ne cache pas une certaine déception, je m’attendais à plus d’exhaustivité, plus de profondeur, même si l’image de l’âme et la bête est une préfiguration de beaucoup de choses en littérature.

À la fois préfiguration des échanges entre Oblomov et Zarha (Gontcharov 1859) que l’on voit dans les échanges de Xavier de Maistre et Joannetti, son serviteur. On pense à Intérieur de Thomas Clerc qui a utilisé ce principe d’exploration d’un lieu personnel comme Xavier de Mestre 200 ans auparavant.

On pense aussi aux rêveries du promeneur solitaire de Rousseau :

« J’ai eu quelques amis, plusieurs maîtresses, une foule de liaisons, encore plus de connaissances ; — et maintenant je ne suis plus rien pour tout ce monde, qui a oublié jusqu’à mon nom. »

fait donc penser aux phrases de Rousseau :

« Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. »

Même si Xavier de Maistre est beaucoup moins désespéré que Rousseau, c’est le moins qu’on puisse dire, de Maistre étant consigné à son domicile car il s’est battu en duel avec un camarade de régiment. Rousseau, de Maistre, deux natures, deux tempéraments, mais cette même langue du XVIIIᵉ les réunit.

De Maistre se fait philosophe, philosophe concis et malicieux. Ainsi dit-il de la mort ceci :

« La mort d’un homme sensible qui expire au milieu de ses amis désolés, et celle d’un papillon que l’air froid du matin fait périr dans le calice d’une fleur, sont deux époques semblables dans le cours de la nature.  L’homme n’est rien qu’un fantôme, une ombre, une vapeur qui se dissipe dans les airs… »

Ce texte se goûte comme un gâteau des plus savoureux venant d’une boulangerie des plus fines.

Un joli passage sur les SDF de l’époque est signe d’une certaine attention aux moins fortunés que Xavier, et c’est tout à son honneur :

« Un tas d’infortunés, couchés à demi nus sous les portiques de ces appartements somptueux, semblent près d’expirer de froid et de misère. » Quel spectacle ! Je voudrais que cette page de mon livre fût connue de tout l’univers ; je voudrais qu’on sût que, dans cette ville, où tout respire l’opulence, pendant les nuits les plus froides de l’hiver, une foule de malheureux dorment à découvert, la tête appuyée sur une borne ou sur le seuil d’un palais. »

Tout en gardant son détachement impassible quelques phrases plus loin, dommage.

Quelques 80 pages seulement pour faire le tour d’une intériorité, des passages traitant de la peinture, de Raphaël notamment, ne cachent pas une certaine vacuité du propos général, malgré des réflexions discursives sur la conscience, la charité, la pauvreté, l’art :

« Un lit nous voit naître et nous voit mourir ; c’est le théâtre variable où le genre humain joue tour à tour des drames intéressants, des farces risibles et des tragédies épouvantables. — C’est un berceau garni de fleurs ; — c’est le trône de l’amour ; — c’est un sépulcre. »

Bon mais insuffisant.