Anniversary
6.7
Anniversary

Morceau de The Cure (2004)

Il est des moments dans une vie que l'on ne peut pas oublier, car le souvenir que l'on garde d'eux les rend uniques en leur genre, puissants, presque irréels, et étrangement extrêmement actuels, comme si on les avaient vécus il y a à peine quelques heures ("There was a moment, there always is")... "Anniversary" est née dans l'esprit de Smith dans le seul but de commémorer ces moments-là, comme on célèbre une fête ou un anniversaire, de leur rendre hommage. Ceux-ci jaillissent parfois de notre mémoire sans crier gare, surgissant comme un diable de sa boîte ; d'autres reviennent en nous plus tranquillement, plus lentement, s'installent dans notre corps pour provoquer des émotions plus diffuses... Sans nul doute, "Anniversary" se réfère à ce type de souvenirs en particulier et s'attache à nous en restituer toutes les émotions, aussi subtiles soient-elles. On remarquera au passage que le sujet de cette chanson n'est pas sans rappeler celui de "Before three" quelques minutes auparavant, avec une différence de taille : "Before three" semble, à l'inverse de "Anniversary", évoquer un souvenir joyeux. Ce qui en fait un parfait négatif.
Tout commence avec une nappe de synthé nervurée, à la fois aérienne et plombée, hors du temps, conférant au morceau son atmosphère caractéristique, une tension orageuse. "Anniversary" plane au-dessus de notre tête, s'étire à l'infini sous un ciel électrique, étendant lentement son pouvoir hypnotique, avant de nous happer, de nous englober sans que l'on s'en aperçoive, comme un instant du passé qui nous revient en mémoire, nous émeut, nous fait vibrer. D'ailleurs, ce titre semble lui aussi appartenir au passé de The Cure, coincé quelque part entre Faith et Japanese whispers ; mélange étonnant et détonnant, qui paraît ne tirer sa substance et exister dans le présent que grâce au fait qu'on l'écoute.
Progressivement, le rythme s'installe, aidé par un beat tendu, contenu et sourd, mimant les battements d'un cœur qui résonne à l'intérieur de sa cage thoracique. On sent que le souvenir dont il est question à bouleversé celui qui en parle ; la blessure est là et peine à se cicatriser malgré le temps qui passe. La douleur est maîtrisée mais s'échappe parfois, résonne à l'intérieur de lui, en échos, et finit par se coincer dans sa gorge. Douleur retranscrite à merveille par la voix de Smith (de là vient sans doute l'impression que sur ce morceau, son chant est unique), qui, tout au long de ce titre au rythme finalement très aléatoire (y en a-t-il un ?), difficile à suivre, se voit contraint de se fier à ses émotions à 100%. Un chant totalement au feeling donc, jouant avec la pesanteur, les variations de tension et de rythme, les silences. La voix s'éteint parfois aux moments les plus tragiques, miroir de la douleur, de la gêne et du remords de celui qui conte son histoire.
Car c'est bien de regrets dont il s'agit, de cette envie folle que tout le monde a au moins éprouvé une fois dans sa vie : celle de pouvoir revenir en arrière pour changer le passé, pour supprimer le mal que peuvent faire les remords, pour les faire taire à jamais. Maîtriser le temps, en faire un ami plutôt qu'un ennemi. L'arrêter. Tendre les mains et pouvoir le rattraper, tout comme cette fille qui s'éloigne ("I held you... I never meant to let you go... (...) And I always let you go, over and over again..."), mais qui quoi qu'il arrive s'éloignera toujours, nous laissant prisonnier de cet instant éternel ("One endless moment...") qui hante la mémoire.
La fin d' "Anniversary" est en fait d'une telle poésie, d'une telle subtilité, que l'on reste subjugué par l'écriture de Smith, que certains disaient vieillissante, dénonçant un penchant trop prononcé pour la simplicité. L'histoire d'"Anniversary" est celle d'un aveu fait par la jeune fille en question ("I held you... You never wanted me to know..."), un aveu douloureux aux oreilles de son compagnon ("One endless moment, you tell me all..."), qui, anéanti, à la fois blessé dans sa fierté et imprégné de sa honte, la laisse s'échapper, chamboulé, impuissant. On imagine très bien la scène sur un écran de cinéma : image en plan large de ces deux êtres debout côte à côte, seuls sur une plage en octobre, remuant à peine les lèvres ; pas de musique de fond, juste le bruit de la pluie, fine, tombant d'un ciel maussade ; la caméra les observe de loin. Puis, soudain, l'aveu. Le temps s'arrête, l'image et les visages se fixent, figés pour l'éternité ; sur le visage de la fille, quelque chose change, imperceptiblement ; elle baisse la tête, puis soudain se retourne ; elle fuit, sa robe épousant la forme du vent, ses larmes s'écoulant sur ses joues, ses pieds nus laissant des empreintes sur le sable, abandonnant là celui qui l'aimait, qui tend une main impuissante... "And I never let you go... I never let you go... I never...".
Psychedeclic
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le 23 déc. 2011

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