All Hallows-Even

https://www.youtube.com/watch?v=-SeVN2u5Axc

En cette période d’Halloween, j’encourage tout le monde à découvrir ce film d’horreur terrifiant, qui a la particularité d’être une chanson…

La carrière d'Eminem a en effet un certain aspect cinématographique. Certains morceaux font suite à d'autres : « Bad Guy » suit Matthew, le petit frère de « Stan », et ici Marshall nous explique pourquoi sa petite amie Kim est enfermée dans le coffre de sa voiture au début de « 97' Bonnie & Clyde » ainsi que sur la pochette de son album précédent, The Slim Shady LP. On navigue donc entre sequels, prequels et spin-offs...

Mais c’est également la plume du rappeur qui participe à cet univers filmique : ce dernier parvient à nous raconter clairement des histoires entières avec une trame et des personnages tout en gardant sa maîtrise des multi syllabiques. Dans « Kim », il joue lui-même le rôle de sa compagne ce qui lui permet de se servir des dialogues de celle-ci pour compléter ses vers, garder un flow cohérent et rebondir sur ses rimes : "He ain’t so hot now, is he, little punk ?! / (Why are you doing this ?) Shut the fuck up ! (You’re drunk !)"

C’est donc un véritable film d’épouvante qui est projeté dans nos écouteurs et qui laisse le soin de la représentation à notre imagination.

Celui-ci commençait pourtant calmement. Eminem endors sa fille avec des paroles toutes mignonnes mais sur une instrumentale déjà inquiétante qui ne présage rien de bon. Puis, une transition violente sur une rime, le premier coup, et pas le dernier : entre "daddy’s so proud of you" et "I’ll beat the shit out of you !", le train fantôme est parti.

Sur un sample de la batterie de « When the Levee Breaks » de Led Zeppelin, le premier couplet pose les bases du scénario. Au détour des phrases gueulées par un Eminem enragé, on comprend que Kim a trompé notre rappeur préféré dans sa propre maison, ce qui ne lui a pas trop plu, en témoigne l’état de l’amant… Le sort de Kim n'en est pas moins horrible : Slim Shady l'emmène faire un tour en voiture et annonce qu'elle fera le trajet retour dans le coffre...

Le refrain surgit soudain. Le rappeur devient chanteur et ajoute de la profondeur à son personnage. Son cri est plaintif et rempli de tristesse, ce qui s'oppose complètement au monstre violent sans humanité qu'il décrivait quelques rimes plus tôt. Il ne peut plus vivre avec Kim et cela le blesse profondément : "I don’t wanna go on / Living in this world without you"

Le deuxième couplet prolonge la volonté du refrain et décrit la folie pure et les contradictions qui rongent le personnage d'Eminem. La voix de l'interprète vacille de plus en plus, les sanglots prononcées au nom de Kim renforcent le tragique de la scène. Un élément censuré en partie nous intrigue : "There's a [blank]-year-old little [blank] / Laying dead with a slit throat in your living room!"... Puis vient le premier climax, clôturant le couplet : "I hate you ! I hate you ! I swear to God, I hate you ! / Oh my God, I love you !". Marshall Mathers se livre complètement, abandonnant un instant sa personnalité violente puis lâche une dernière plainte déchirante : "How the fuck could you do this to me ?! / (I'm sorry !) How the fuck could you do this to me ?!" ; avant de s'enfoncer dans l'horreur...

Dans sa dernière tirade, Eminem nous en apprend plus sur le déroulé de la soirée, impliquant deux égorgements dans son salon, et expliquant la phrase censurée plus tôt. Son côté sarcastique et pervers en rajoute à l'horreur de la scène. Il joue avec sa proie, lui explique son plan diabolique pour cacher son implication dans le massacre, la rattrape lorsqu'elle tente de s'échapper puis lui montre que sa mort est inévitable en appelant à l'aide à sa place avec un frissonnant "Ah ! Somebody help !". Le climax final est atteint avec les derniers vers : "You were supposed to love me ! / Now bleed, bitch, bleed ! Bleed, bitch, bleed ! Bleed !". On entend entre chaque cri les bruits d'étranglement et d'égorgement. La voix se déchire complètement, elle devient presque inhumaine.

Cette complète catharsis permet au rappeur de ne pas passer à l'acte et peut avoir le même effet d'oeuvre purgatrice chez l'auditeur, en témoignent certains commentaires YouTube... C'est aussi une des fonctions du personnage de Slim Shady, Eminem y met ses faces sombres : sa perversité et sa violence pour s'en exorciser. Il se contrôle donc grâce à sa musique et c'est la combinaison entre la profonde sincérité et l'horreur des paroles de la chanson qui la rend particulièrement effrayante. À l'image de l'introduction d'Halloween, l'auditeur est plongé dans le point de vue d'un psychopathe. À la différence qu'ici, le tueur n'est pas une simple machine à tuer brutale et sans sentiments mais un homme fragile et torturé dont on connait les douleurs.