Warning : cet article est davantage une critique du clip qu'une critique du morceau. Le clip : http://www.youtube.com/watch?v=LG4PHWobUpw, suite du tout aussi excellent Libertine : http://www.wat.tv/video/mylene-farmer-libertine-2011-4hjup_2i32h_.html.

La langue de La Fontaine se faisant rare dans mon top 30 des meilleurs clips, j'ai voulu lui réserver deux ou trois places, et de préférence des chaudes. Or, qui mieux que Mylène Farmer et son réalisateur/co-compositeur Laurent Boutonnat symbolisent le clip français ? Sérieusement ? Bien entendu, pour se tourner vers la rouquine, il faut déjà apprécier son identité unique : sa voix innimitable d'ange déchu, la mélancolie évanescente de ses instruments, ses paroles (bien qu'elles fussent parfois aussi poseuses qu'inspirées), et surtout sa "mélodie"... bref, sa musique pour le moins originale et caractérielle. De ces mets rares qui inspireront toujours des sentiments contrastés, et diviseront toujours les gens, comme tout ce qui est original et caractériel. Bien sûr, entre le charlatanisme surestimé et le génie ringardisé, le débat est ouvert. Mais à mon sens, celui qui sait apprécier CETTE came sera toujours le mieux loti.

J'ai joint le nom de Boutonnat à celui de Farmer car rarissimes sont les associations entre une chanteuse et son compositeur qui soient aussi fusionnelles, tout comme le sont les compositeurs qui jouent accessoirement les réalisateurs de génie. Dans leurs carrières, la plupart des artistes musicaux travaillent avec plusieurs réalisateurs de clips, ceci expliquant en partie l'inconsistance de leurs univers visuels. Farmer et Boutonnat, eux, ont une quinzaine de clips à leur actif (!), et travaillent encore ensemble, trente ans après leur première collaboration (soit Maman a tort, en 1984... wow. Déprimant).

Naturellement, la magie des premiers temps ne perdurerait pas, la deuxième moitié des années 90 enterrant l'effet 80s, et l'échec de leur long-métrage Giorgino (1994) cassant l'inspiration de Boutonnat. Ce dernier ne réaliserait plus de clips de Farmer pendant une dizaine d'années, et ne retrouverait pas l'inspiration par la suite... un peu comme la rouquine, d'ailleurs : en 95, le très mauvais clip de son très moyen tube XXL marquerait très distinctement le basculement de la rouquine dans un deuxième acte de carrière bien moins fructueux que le premier. Mais les dix années de collaboration qui ont précédé ont été spectaculaires, la poésie naïve et mélancolique et les vocalises diaphanes de la rouquine s'accordant parfaitement à l'univers plastique baroque (le plaisir des contrastes en moins) du compositeur/réalisateur, dans une profusion d'onirisme charnel parfois subversif, souvent avant-gardiste, toujours unique en son genre.

J'aurais pu choisir d'autres clips que celui-ci, car le choix ne manque pas : Plus grandir, Libertine, Tristana, Sans Contrefaçon, Désenchantée, Beyond My Control... en résumé, la plupart de ses singles de cette période (qu'on peut appeler l'âge d'or, clairement), tous tournés en 35mm, conçus pour certains d'entre eux comme de véritables court-métrages, avec un générique, une bande-son, et tout le tremblement. Mais Libertine et Pourvu qu'elles soient douces sont trop importants dans la carrière de Farmer, et bien trop iconographiques, pour passer derrière n'importe quel autre, fût-il magnifique, comme Sans Contrefaçon. Enfin, j'ai préféré le second au premier pour plusieurs raisons : d'abord, il fait partie d'Ainsi soit je, LE chef-d'oeuvre du duo Farmer/Boutonnat. Ensuite, parce que le clip bénéficie d'un budget spectaculaire, d'une durée qui en fait le plus long clip scénarisé français (à la fin du générique, on approche les 20 minutes !), et de la cinématographie splendide de Jean-Pierre Sauvaire (aaaaah la brume pudique sur la forêt de Rambouillet et les corps ensanglantés !). Pour finir, parce que son érotisme faisait franchir à la rouquine un nouveau cap... non parce qu'on voyait plus de nibards à l'air qu'à l'accoutumée, mais parce que la sexualité y était plus complexe, et intégrée à un joli récit de bataille, s'il-vous-plait.

Parce qu'il ne faut pas se leurrer : l'âge d'or de Mylène Farmer, c'est de la grande pop française, certes, mais aussi la chanteuse, allumant son monde dans des tenues souvent légères, et des poses toujours sensuelles. L'histoire de ce clip, c'est tout de même une histoire de fesses, littéralement, et celles de la Mylène en l'occurence, que le lord britannique espère douces, par pur esprit d'esthète, on en convient. Mais c'était très bien. Oui, oui. Car tout fonctionnait : d'abord parce que l'érotisme, d'une grande élégance, évoquait davantage David Hamilton que les érotiques de M6 ; ensuite, parce qu'il n'avait rien d'un artifice putassier, servant la musique plutôt que de la parasiter. Pour les pervers mélomanes, le spectacle était total : la poupée gothique et mutine (= mutique ?) jouissait alors sereinement d'un sex-appeal à faire passer Madonna pour un mérou à poil long, et renvoyer ses clips-chocs à leur vulgarité clinquante. Poupée gothique et mutine... c'était un peu ça, le secret de sa popularité : sexy sans être racoleuse, dénudée sans faire bimbo, flamboyante sans excès d'égocentrisme apparent, suffisamment belle et féminine pour plaire aux hommes, suffisamment ambigue et directive pour plaire aux filles - ajoutons-y son look parfois androgyne, et on touchait le gros-lot.

De ce point de vue, comme sur le plan musical, et pour finir en matière de réalisation, Pourvu qu'elles soient douces offre peut-être le meilleur de la synthpop gothique farmerienne et de la mise en scène made in Boutonnat, grand faiseur d'images dont on aimerait voir plus de films, à présent qu'il a rompu la malédiction Giorgino avec son succès Jacquou le Croquant (2005). Mais dans tous les cas, il leur sera impossible de reproduire la magie d'une époque depuis longtemps évanouie, à lui, comme à la rouquine (plastic surgery for the win !). Alors, comme dirait l'autre, c'était mieux avant ! Où ai-je donc mis cette foutue VHS du concert de 1989 ?
ScaarAlexander
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le 26 juin 2013

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