Razzmatazz
9.1
Razzmatazz

Morceau de Pulp (1993)

L'idée paraît bizarre, mais il faudrait un jour faire une analyse détaillée de la place des «La-La la la la la la la la la» dans l'histoire de la pop. Ou alors des «ma-ma-ma-ma-ma-ma», ou encore des «na-na-na-na-na» appelez ça comme vous le souhaitez.


C'en est presque devenu un cliché, d'ailleurs. Le truc «qui montre que vous n'avez aucune inspiration.». Après tout, lorsque j'écris une jolie mélodie entraînante un peu niaiseuse mais néanmoins agréable, que je n'ai pas le talent de Clapton pour me risquer à un solo de cinquante minutes, ou le don de Bob Dylan pour faire des textes fleuves de dix minutes, quoi de mieux et quoi de plus facile que de remplir ses 3 minutes réglementaires avec un lalalage intempestif qui enfoncera la-dite mélodie dans votre petite tête de gentil public ? Ça ne coûte rien et c'est rigolo, après tout.


Maintenant, au-delà de son aspect un peu utilitaire et cette remarque superficielle, j'ai pu remarquer quelque chose : c'est que dès que Cocker se met à nanananer, ou yeahyeahmer, ou lalalaler, la chose reste imprimé dans ma tête à l'encre indélébile. Tout ce qui fait de «Love Is Blind» sur Separations un hymne quasi-désespéré sur l'amour tient en sa dernière minutes de la-la-na-na-nage. Cette minute n'est clairement pas gratuite et ce n'est pas un manque d'inspiration : c'est comme si le narrateur n'arrivait plus à parler, et ruminait encore et encore les mêmes sons dans une frustration absolument insoutenable. Lorsqu'on connait les dernière lignes de la chanson, cela fait encore plus sens.


Et lorsque je dis «Hymne sur l'amour», ne le prenez pas aussi futilement : Pulp chante moins des histoires d'amour que des histoires sur l'amour : s'amusant comme un petit enfant à décrire la triste décadence de nos futiles vies avec une plume hautaine et particulièrement crue. Il décortique, mastique, recrache sans digérer toute ces petites histoires idiotes comme pour insister sur le désespoir qu'y s'y cache. Pourquoi donc ce travail absurde, me demanderez-vous ? Jarvis a déjà fait son auto-psychanalyse dans «I Spy» si vous souhaitez des éléments de réponses.


C'est ainsi que les lalalage chez Pulp prennent toujours une autre dimension : comme une sorte de défouloir cathartique, comme si l'on souhaitait crier au monde sa colère mais que l'on avait pas les mots pour le dire.


Ainsi soyez prévenu maintenant : les lalalalage que vous trouverez à la fin de Razzmatazz ne sont pas innocents. J'ai l'habitude de présenter la chanson comme un concentré de haine, mais ce n'est pas pour ses simples paroles : c'est surtout pour ce détournement affreux de la mélodie, cet enchaînement de Na-Na-Na-Na dédaigneux donnant alors l'apogée la plus terrible à ces pauvres lignes  :


«Now it's half past ten in the evening and you wish that you were dead !
'cos all those stupid little things
No they ain't working, oh, they aren't working at all.»

Erw
10
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le 9 juin 2015

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