Why 13 reasons?

Avertissements : 1) Cette critique dévoile des éléments importants de l'intrigue.
2) Je ne critique que la saison 1

"Mais quelle est l'intention des scénaristes ?" me suis-je demandé après avoir fini 13 reasons why. J'ai pu lire ici ou là que c'était une série pédagogique sur le harcèlement (scolaire et sexuel) et sur la souffrance des adolescents. Certes, de la souffrance, on en montre. Mais sur le versant pédagogique, j'ai beaucoup plus de doutes.

Rappelons-nous d'abord que l'adolescence est caractérisée par l'égocentrisme, la subjectivité envahissante (croyance que ce que l'on pense/voit/entend est le monde réel), le désir d'être toujours émotionnellement compris par autrui (envie que l'autre devine tout), l'illusion de toute-puissance ou au contraire d'impuissance des adultes, la croyance que les média reflètent la réalité, et l'égalisation de la gravité des diverses frustrations sociales (par exemple, une moquerie peut être perçue comme aussi grave qu'une agression physique).

Le bon point est qu'à travers Hannah (et de manière plus saupoudrée à travers les 4 ou 5 autres personnages principaux), nous avons tout le catalogue de ces imperfections psychologiques qui nous est donné à voir. Et l'on gage alors qu'à l'instar de l'excellente série Evangelion, on va nous expliquer progressivement comment ces enfants vont apprendre à dépasser leurs peurs pour tendre - au prix d'importantes remises en cause - vers l'adulte qu'ils doivent devenir. Autrement dit : prendre un recul salvateur sur les fameuses cassettes. Eh bien... non, pas du tout.

A aucun moment la série ne propose une distanciation explicite vis-à-vis du chaos émotionnel des protagonistes, un développement possible vers une perception plus sereine et exacte de la réalité et des inévitables vulnérabilités dont tout un chacun est amené à faire l'expérience au contact des autres. Non, à la place, tout le scénario semble donner raison à Hannah : ce qu'elle dit est ce qu'il s'est passé, une moquerie ou un viol sont deux raisons plus ou moins égales de se suicider, quiconque ne devine pas ses ressentis est un être malveillant, les adultes sont à la ramasse, etc... La cerise étant le personnage de Bryce. On nous sert l'archétype du blanc-riche-populaire-violeur-impuni, prédateur social idéal décrit ad nauseam dans le monde réel par les réseaux sociaux et les média (affaire Weinstein etc, etc...). Pourtant le personnage de Justin aurait été beaucoup plus représentatif et réaliste dans ce rôle (il cumule des perceptions immatures de la sexualité, un milieu familial instable et violent, et peu de perspectives d'avenir ; "cocktail" le plus fréquent chez les agresseurs sexuels et les violeurs). Donc à nouveau, on nous propose un script soutenant une vision peu adulte du monde (ce qui est dit souvent dans les média = réalité) et qui n'est jamais démentie ni même critiquée à travers toute la série (Bryce est effectivement l'ordure alpha, ceux qui le croient ont raison).

A mon sens, il n'y a donc rien de pédagogique dans cette série. En l'absence de commentaire ouvertement critique sur chaque cassette qui serait l'occasion de poser les problèmes autrement, il ne s'agit que de complaisance et de régression. Au moins le point d'orgue de la scène du suicide a-t-il été relevé par de nombreux éducateurs comme une inconséquence grave de auteurs ; mais ce n'est que l'élément le plus évidemment alarmant de la vision proposée par 13 reasons why en terme de "pédagogie".

De deux choses l'une : soit les auteurs de cette série sont particulièrement immatures et nous livrent leur vision du monde perturbée comme ils nous pondraient une cassette vengeresse, soit ils sont particulièrement cyniques en n'offrant sciemment aucune possibilité de croissance psychique à leurs personnages - et donc à leurs spectateurs.

Dans les deux cas, je suis insatisfait, et n'hésite pas à tourner mon pouce vers le bas : 2/10