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Diffusée depuis fin octobre 2015 sur Arte, "Au service de la France" a pu d'ores et déjà bénéficier d'une deuxième saison ce qui lui a permis d'ouvrir ses horizons. Au delà de l'oeuvre en elle-même, n'y aurait-il pas sous cette série un emblème de nombreux travers cinématographiques actuels?


Les comparaisons à la duologie "OSS 117" de Michel Hazanavicius ont été nombreuses et auront probablement excité la curiosité de la plupart des spectateurs, pour autant la déception est souvent pointée du doigt face à une série qui ne se trouve pas aussi réussie que les films auxquels elle prétend faire référence, tant par son pitch de base que par ses auteurs - le scénariste de la série ayant officié sur les histoires de l'agent Bonisseur de la Bath.
Pourtant, même si la réussite n'est pas systématique - quoique cette appréciation restera subjective - Au Service de la France eut le mérite d'instaurer dès les premiers épisodes ce qui fit le succès de son oeuvre paternelle : une ironie irrévérencieuse et critique, une parodie des adaptations cinématographiques d'espionnage et une absurdité légère toute française.


Si le format sériel a un intérêt, ce doit être celui de sa longueur. Il permet l'attachement aux personnages, l'explosion du récit, la multiplication des rebondissements... Or, dans "Au service de la France", cette longueur permet de saisir toutes les limites et la complexité du style icôniquement porté par Hubert alias Noël Flantier.
Car si l'ironie permet la critique du passé, elle ne statue pas sur l'avenir. Elle accuse un schéma de pensée, reproche les idées d'un autre âge mais se perd dans un post-modernisme sans conseil, voire pire ici, dans un modernisme béat. Si la parodie tourne en dérision le style des œuvres qui l'ont précédées, elle n'en instaure pas de nouveau. Elle rejoue sans cesse les mêmes gimmicks, s'en moque et les caricature, mais ne propose rien de neuf. Et si l'absurdité bouleverse la logique du spectateur, ce n'est que pour créer la sienne, et cette logique impose ses propres règles qui, si elles ne sont pas respectées, à défaut de paraître absurdes paraissent surtout incompréhensibles.
Car c'est bien là que se situe le nœud du problème : dans ce triangle fondamental, cette base bancale. Composer dessus devient alors un véritable jeu d'équilibriste.
Initialement, c'est une fondation solide à défaut de prendre de la hauteur. Ainsi, l'ironie aura le plaisir de nous remettre face aux réalités qui fâchent dans une France des années 60 peut être chère aux nostalgiques des grandes heures. Post-colonialisme, racisme, machisme ordinaire, hypocrisie des pétainistes de l'administration le tout servi par des dialogues très bien écris dont quelques-uns pourraient finir en phrases cultes et une mise en scène parfois discrète sur des détails truculents. La parodie usera les poncifs du genre à travers son ambiance feutrée, ses décors et costumes d'époque, ses rencontres dans des coins sombres et brumeux, le tout servit par la composition originale de Nicolas Godin fort à propos. Enfin, l'absurde derrière les réflexions des personnage ou celui de l'administration peaufine l'ensemble avec un formulaire B54 aussi traumatisant que le laisser passer A38 des Douze Travaux d'Astérix ou le formulaire 27B-6 du Brazil de Terry Gilliam.


Pour autant, la série qui sur son départ ne fait qu'étaler ce style sans trame de fond, échoue face aux reproches qui en découlent à mettre en place ce qui aurait été indispensable à un film, soit établir une intrigue suivie. Car sitôt qu'elle désire développer son univers, les anomalies fourmillent.
Il serait facile de pointer du doigt des incohérences d'écriture ; la bascule de la psychologie de certains personnages - pour ne pas dire l'effacement radical de certain ; l'aspect simpliste de l'univers avec un service très restreint qui ne correspond pas aux visions de grandeur de l'intrigue ; ou la surabondance de sujets effleurés (émancipation de la jeunesse, droit des femmes, indépendance des colonies, "Israël", homosexualité, adultère...). Mais ce qui plombe définitivement la série, c'est sa fidélité forcée envers son trépied fondateur.
Car les métamorphoses de la psyché des personnages, se justifiant par l'impact de certaines conditions auxquels ils sont soumis, jurent par contraste devant l'absence totale de répercussions face à la gravité historique des actes commis par d'autres. L'incident diplomatique menant à la crise de Cuba ou les excès de zèle aboutissant à la construction du mur de Berlin, ironiquement, n'auront aucun impact sur les personnages et ne dictent aucune morale alors que, paradoxalement, le dur rôle d'espion affectera profondément Merlaux par exemple, qui se transforme en jeune arrogant incapable de concilier amour et travail.
La parodie des films d'espionnage impose le caractère simpliste de la structure des services secrets qui entraîne donc une dissonance avec le sérieux du scénario. De plus, elle se décline dans des deus ex-machina systématiques qui, de l'humour des premiers effets (non sans rappeler la survenue successives de nouveaux personnages armés lors du dénouement de "OSS 117 : Le Caire, Nid d'Espions"), bascule vers l'agacement face à des personnages incapables de se sauver par eux-mêmes alors même que l'on tente de les rendre menaçant par la tournure sombre que prend la deuxième saison (au moins, Lucien Bramard avait-il la faculté de gérer lui-même le cafard dans son placard avant de se préoccuper de la souris sur le lit) ; d'ailleurs les déplacements géographiques des protagonistes en deviennent proprement incohérents (mention spéciale pour le déplacement de l'agent Merlaux à Cuba qui s'opère dans une célérité non expliquée car probablement inexplicable).
Enfin, le ton absurde que la série persiste à adopter ne colle tout simplement pas à l'assombrissement général qu'elle établit (pour exemple, la scène où l'agent Calot passe ses vacances seul chez lui en short et en tong aurait put être hilarante mais est plombée par la musique et le rythme, elle en devient profondément triste).
La série échoue donc dans son glissement vers le sérieux suite au mauvais accueil de sa partie la plus légère et s'écroule en tentant désespérément d'être à cheval sur deux genres contradictoires.


La parodie d'espionnage n'est pas un style nouveau ("L'espion qui venait du surgelé" de Mario Bava par exemple date de 1967) ; et bien que quelques éléments aient su tirer leur épingles du jeu (Le Magnifique, Austin Powers, OSS 117...) une pléthore de films tous plus passables les uns que les autres sont également sortis de ce concept (Johnny English, Spy, Max la Menace, Double Zéro, Spy Kids...).
À travers cette série, peut être avons-nous là une preuve supplémentaire d'un genre à redéfinir et non à parodier indéfiniment mais aussi un cas d'école, typique d'un style que l'on affectionne mais déjà dépassé, usant à la longue et incapable de s'adapter pour surpasser son caractère d'origine. Au service de la France est une série qui en dit long sur tout ce que notre humour a pu produire de jouissif mais aussi sur toutes les limites qu'il présente désormais et qui rendent son évolution complexe.
Amener de la sincérité derrière l'ironie, effectuer une refonte des codes du genre, respecter les règles que l'on s'impose... L'exercice semble en effet difficile à réaliser.

F_Zappa
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le 17 août 2018

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F_Zappa

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