Aurore
5.6
Aurore

Série Arte (2018)

A 51 ans, Laetitia Masson signe en 2017 cette petite merveille avec ce neuvième long métrage dont le titre est malheureusement aussi celui d'un autre film. Ne pas confondre donc !
On est ici à des années-lumière des polars neu-neu faits à la va-vite du service public, ou des films made in US soldés qu'affectionne TF 1.
Voici un film qui cumule trois épisodes de 52 mn qui sonnent vrai, et créent de l'émotion et de la réflexion chez le téléspectateur ! C'est réussi en ce qui me concerne ! La réalisatrice traite ici un sujet rare autant que délicat au cinéma : l'histoire d'une gamine, Aurore, devenue criminelle pour deux fois rien, en l'occurrence: voler des gâteaux à un gosse qui ne veut pas les partager avec elle qui a très faim. Une petite fille complètement paumée, autant que sa mère prostituée et déconnectée de la société, et elle découvre seule la vie dure, le monde égoïste. On sait que les enfants sont d'une violence inouïe entre eux, comme si leur instinct de survie les vouait à éliminer les autres...
La scénariste-réalisatrice s'est inspirée du reste d'un fait divers réel des années soixante où une enfant en avait tué deux autres. Comment dès lors après avoir été arrêtée par la Police et condamnée Aurore va-t-elle pouvoir se réinsérer dans la vie ? D'autant que même teinte en blonde, et après avoir changé d'identité, son passé la rattrape, et qu'un témoin muet de son crime à l'époque, la petite soeur de garçonnet tué et qui a tout vu de la scène en cachette, va la rechercher ! Pour la tuer et venger son frère ? Car elle a un revolver dans son sac ! Suspense. Contrairement à d'autres scénaristes qui nous assomment de tam-tams sonores, et de longues tirades verbales pour nous réveiller et mieux cacher la faiblesse de leurs récits, Laetitia Masson est une adepte des silences qui donnent bien plus d'intensité à l'action, et nous laissent le temps de la digestion, de la réflexion. Bien des tâcherons de films TV low-cost feraient bien d'en prendre de la graine !
J'ai craint aussi que la vision des trois heures de ce récit ne soit un peu fastidieuse comme c'est souvent le cas. Là encore, divine surprise : au moment où on commence à se déconcentrer, un nouvel évènement nous rappelle au film.
Mais la scénariste ne fait pas dans la facilité non plus côté réalisation ! C'est ainsi qu'elle a filmé le meurtre au grand dam d'Arte qui n'y était pas très favorable. Sinon avait-elle prévenu, le film ne se serait pas fait ! Tempérament entier, elle se définit du reste elle-même dans "Télérama" comme "un cow-boy solitaire" qui refuse les compromis, la sédentarité et supporte la solitude...
Ajoutons un casting flamboyant sûrement dû aussi à Laetitia Masson, comme on en voit peu : le talent a dicté les choix d'acteurs plutôt que le copinage et le résultat est là ! Elodie Bouchez est flamboyante de talent et son instinct dramatique nous fait croire à son rôle. A la fin, elle est retrouvée par Maya, le témoin du crime qui a grandi et qui la poursuit, et là encore, c'est du grand art avec Lolita Chammah. Pour ceux qui ne la connaissent pas, c'est la fille d'Isabelle Huppert et d'un producteur de cinéma. Elle est donc tombée toute petite dans la marmite de potion magique du cinéma, et ça se sent ! Bien qu'ayant sa propre personnalité, elle ressemble beaucoup à sa mère : cheveux roux, mimiques, silences, yeux inquisiteurs...Stupéfiant. On se demande pourquoi on ne la voit pas plus... Les autres ne me déméritent pas loin s'en faut, ainsi André Wilms, Aurore Clément, et même les tout jeunes comme Mélody Gualtéros (Aurore toute jeune) et Ambre Hasaj (sa fille quand Aurore est adulte) sont superbes de vérité et véritablement craquantes... Pourtant dieu sait si diriger des enfants de cet âge est complexe ! On parle généralement peu des directeurs de la photo qui travaillent dans la lumière mais qui eux, restent souvent dans l'ombre : Eric Dumont signe ici des prises de vues admirables : de la Camargue et les amateurs de belles images vont apprendre et admirer !
Un film qui sort de l'ordinaire et qu'on aimera ou détestera : il ne laissera pas insensible. Pour moi, une réussite qui aurait mérité mieux en audimat et en promotion ! Avoir absolument s'il repasse...

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le 12 janv. 2018

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