Bojack Horseman est un homme-cheval (ou un cheval-homme) seul, mesquin, égocentrique, alcoolique, menteur, constamment en train de se plaindre. Il est aussi très drôle, doté d’une répartie infaillible, charmeur et talentueux. C’est un acteur, ancienne star d’une sitcom des années 90, qui se mit à boire très tôt, pour à la fois "tenir le coup" et fuir toute responsabilité, n'assumer aucune erreur.
Pendant six saisons, on va tenter de comprendre pourquoi il agit comme un "connard" avec les femmes, ses amis, les fans, ses collègues, tout le monde. Sans lui donner d’excuses, la série va dessiner un personnage terriblement humain, perdu, cherchant des réponses et du sens à tout va.
Il ne va pas bien. Il ment, comme tout un chacun, quand on lui demande comment il va. Que peut-il faire pour se sentir moins seul ? Comment vivre avec sa solitude? Comment doit-il vivre sa vie pour être heureux? Anxieux, névrosé, il a juste besoin de quelqu’un à qui parler. Il a besoin de l’attention qu’il n’a jamais reçue de la part de ses parents, qui ne s’aimaient pas et n’ont pas su l’aimer, comme la série va nous l’apprendre. Il aurait souhaité être aimé, vraiment aimé.
Bojack aurait apprécié ce début de critique car tout tourne autour de lui. Les meilleurs épisodes sont d’ailleurs ceux qui le mettent à nu pendant 25 minutes, explorent ses traumas, son enfance, sa psyché, ses folies, la vacuité de son existence passée à râler tout en essayant de profiter de la vie. Pourtant, il est loin d’être le seul personnage de ce monde animalier vivant à Hollywoo. Il faut maintenant présenter ceux et celles qui ont fait de lui un homme meilleur, par leur présence, leur écoute, leur amitié.
Partage ses aventures Diane Nguyen, une femme qui se cherche aussi mais qui rêve encore. Entrée dans la vie de Bojack comme sa biographe, elle va devenir son amie, sa confidente. Elle osera lui dire les choses en face. Elle est en quête d’épanouissement dans son métier d’écrivain, son mariage, ce monde de requins sans pitié (qu'est l'Amérique ?).
Il y a aussi Princess Carolyn, chatte amante et agente de Bojack, plongée la tête dans son travail, se retrouvant souvent seule à son bureau, au lieu de profiter d’une vie de couple ou familiale fantasmée. À côté de ses parents qui se disputent toujours dans sa tête et ses cauchemars, la fille présumée de Bojack fera aussi une apparition, bien réelle celle-là. Hollyhock, d’une gentillesse incomparable dans ce monde du cinéma décrit ici, aidera notre homme cheval, même sans s’en rendre compte, à sortir (un peu) de sa misère existentielle.
Les deux qui ont l’air de mieux s’en sortir, dans Bojack Horseman, sont ceux qui se posent le moins de questions, qui vivent leur vie au jour le jour, comme des poissons rouges dans un bocal, sans penser de trop et n’ayant d’autre ambition que de s’amuser : Mr. Peanutbutter et Todd Chavez. Ce sont les protagonistes les plus cartoon du show, ceux qui permettent de souffler entre deux crises, qui apportent un ton léger dès qu’ils apparaissent. Ce sont eux aussi qui paradoxalement "parasitent" la série et certains épisodes d’un intérêt inégal, comparés à ceux tournant autour de notre homme-cheval.
L’animation en 2D est centrée sur les personnages. Leurs traits de visages sont dessinés simplement, simulant les mêmes émotions. Ils bougent de manière «mécanique», à travers des gestes répétitifs, sans que cela ne soit gênant à regarder. Le casting des voix originales permet de vivre l’humanité derrière les pixels et de se sentir connecté à leur course effrénée vers la paix intérieure. Les scénaristes s'amusent à leur faire dire des dialogues remplis de jeux de mots, de clins d'oeil et de folles allitérations. Ces figures mi-animales mi-humaines se déplacent dans un univers riche et fantasque qui se développe au cours des saisons, souvent fixe, réfléchi mais sans être surchargé de détails en arrière-plan. Ce qui compte, ce sont les personnages.
La série donne un aperçu des coulisses du monde du cinéma et des séries, et plus globalement du cynisme devenu la norme généralisée dans l’univers médiatique américain (occidental). Le show appuie là où ça fait mal et n’épargne personne. Le ton est caustique, tout le monde en prend pour son grade, et surtout la société telle qu’elle est pensée actuellement. La mise en scène accentuera souvent, en musique et sans parole, la solitude enveloppant tout ce petit monde, terminant des épisodes sur un ton grave et dramatique, tellement humain, alors qu’ils affrontent seul.e.s leurs questions existentielles.
À l'image du générique de Mad Men, on assiste impuissant à la chute dans le vide de Bojack, tombant dans sa piscine californienne, au début de chaque épisode. D'un monde à l'autre, des années 60 à aujourd'hui, les questions sans réponses restent les mêmes, et l'on continue de tomber avec ces personnages américains questionnant notre époque et notre façon de vivre. Pour mieux se relever, toujours, s'appuyant sur les notes joyeusement mélancoliques du générique de fin :
"Back in the '90s, I was in a very famous TV show (Ooh)
I'm BoJack the Horse (BoJack!), BoJack the Horse
Don't act like you don't know"