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"Buffy contre les vampires" est une série américaine de 1997 créée par Joss Whedon, parfait inconnu impliqué dans l'émergence du « Marvel Cinematic Universe » durant cette dernière décennie.
À l'instar de "Charmed" et d'autres programmes diffusés en France dans le cadre de la « trilogie du samedi soir », elle reprend les codes de la fantasy urbaine. Ce genre très populaire au cours des années 90 se caractérise par l'utilisation d'un bestiaire fantastique dans un milieu citadin, mêlant menaces surnaturelles et tracas du quotidien.

L'héroïne éponyme de "Buffy contre les vampires" est une adolescente venue s'installer dans la ville de Sunnydale avec sa mère. La jeune fille essaye tant bien que mal d'avoir une existence normale et de s'intégrer dans son nouveau lycée. Mais elle mène en réalité une double vie, devenue « Tueuse de vampires » en raison de ses talents particuliers. Des instances supérieures l'ont chargée de lutter contre toutes sortes de forces occultes, Sunnydale étant l'épicentre de ces phénomènes paranormaux. Ainsi, une fois la nuit tombée, Buffy Summers patrouille dans les rues et cimetières de la bourgade californienne, traquant sans relâche les vampires tout en enquêtant sur d'étranges affaires.
Elle est épaulée dans sa tâche par son « Observateur » Rupert Giles, également bibliothécaire du lycée, ainsi que ses deux plus proches amis, Willow Rosenberg et Alex Harris (Xander dans la version anglaise). Une multitude d'autres personnages viendront progressivement se greffer à cette joyeuse troupe baptisée « Scooby-Gang ».

"Buffy contre les vampires" n'est certes pas dénuée de défauts. La première saison a clairement souffert du poids des âges, lorgnant parfois davantage du côté du feuilleton de série B fauché que d'une œuvre de fiction mémorable.
Pourtant, dès les premiers épisodes, tous les ingrédients de ce qui fera l'ingéniosité de la série sont présents. Après un nécessaire temps d'adaptation pour passer outre le kitsch télévisuel des années 90 et les raccourcis scénaristiques liés à certains développements, le spectateur d'aujourd'hui appréciera toujours autant la qualité d'écriture du show. Véritable phénomène aux États Unis, cette œuvre a marqué les esprits et nombreux sont les jeunes de l'époque à s'être identifiés aux personnages et à leurs déboires. Rarement les problématiques de l'adolescence n'auront été si bien esquissées.

La trajectoire de Buffy illustre à merveille les difficultés inhérentes à cette période de la vie. Désireuse de mener une vie normale, elle s'est pourtant vue confier la mission de Tueuse de vampires, tâche harassante qui pèse constamment sur ses épaules. Cette activité officieuse la contraint à dissimuler de nombreux secrets à ses proches, afin de les protéger, mais affecte également sa façon d'appréhender le quotidien et son avenir.
De nombreux parallèles peuvent de ce fait être établis entre les dilemmes intérieurs de Buffy et la dichotomie Peter Parker / Spider-Man dans l'oeuvre de Stan Lee ou l'adaptation de Sam Raimi. La question de la double identité est un classique du genre super-héroïque et il n'y a rien de surprenant à ce qu'on la retrouve ici, à l'âge où on fait face à de nouvelles responsabilités, au carrefour de plusieurs devenirs possibles.
En règle générale, c'est également à cette phase qu'un sentiment d'incompréhension gagne les relations avec ses proches et qu'on cherche à se préserver en évitant de trop en dévoiler. Écrasée par des enjeux dépassant les préoccupations d'une adolescente de 16 ans, Buffy connaîtra bien des désillusions liées à ses rapports aux autres.

La galerie de personnages qui gravitent autour de notre protagoniste n'est pas en reste. La facilité avec laquelle on s'attache à eux rend d'autant plus fort le fait qu'ils vivent chacun à leur manière des situations liées à la cruauté de l'adolescence et une certaine forme de mal-être.
Alex est complexé par son absence de popularité et les standards de masculinité qui prévalent au lycée.
Willow, peu à l'aise en public, est perçue comme une personne anormale. Mais ses aptitudes en informatique et en sorcellerie, domaines classiquement relégués à la marge de la société, tout comme le reste de la culture geek à l'époque, lui permettront de s'épanouir et d'affirmer son individualité. Elle est assurément l'un des personnages les plus touchants de la série.
Cordelia Chase est de prime abord l'incarnation de la parfaite petite peste. Mais sa personnalité s'avère bien plus complexe et ambivalente. Derrière ses airs assurés, sa popularité et son charisme, elle souffre d'un grand manque de confiance en elle et d'une dépendance maladive au jugement des autres. Comme le laissait entendre le philosophe Sartre dans "Huis Clos", « l'enfer, c'est les autres », dans la mesure où nos semblables, par leur regard et leur appréciation subjective, tendent à nous mettre des étiquettes.
Giles est quant à lui l'archétype du bibliothécaire d'abord rétif à la modernité. Il incarne de surcroît la figure du mentor protecteur. Toutefois, la fragilité de son personnage et le fait qu'il soit progressivement amené à remettre en cause l'archaïsme des institutions auxquelles il est censé se référer le feront considérablement évoluer.

Mais l'intelligence de "Buffy contre les vampires" découle autant de l'écriture de ses personnages que sa manière d'exploiter les figures antagonistes et les péripéties qu'elles engendrent. Les phénomènes paranormaux et menaces surnaturelles sont avant tout une allégorie des obstacles auxquels tout adolescent a pu être un jour confronté.
Ce n'est pas un hasard si le lieu maudit qui attire tel un aimant les forces obscures et les manifestations surnaturelles est situé pile-poil sous l'établissement scolaire de Sunnydale. De là à dire que le lycée est l'antichambre de l'enfer pour de nombreux adolescents, il n'y a qu'un pas. La fonction métaphorique attribuée au bestiaire fantastique de Sunnydale s'applique au fil conducteur de l'intrigue comme aux épisodes plus anecdotiques.
« Sortilèges » s'attarde sur une mère possessive usurpant littéralement la position de sa fille. « Les Hyènes » illustre le harcèlement scolaire. Dans « Portée disparue », le pouvoir d'invisibilité devient la matérialisation d'une invisibilisation née de l'exclusion sociale. L'épisode « Le Fiancé » met Buffy aux prises avec un dangereux beau-père cachant derrière ses attitudes charmantes une personnalité tyrannique. Dans « Pleine lune », la métamorphose du loup-garou rejoint celle de l'adolescence et sa difficile acceptation n'est pas sans rappeler certaines orientations sexuelles vécues comme des malédictions. « Les Belles et les Bêtes » montre les conséquences de la violence conjugale.
Même les scènes durant lesquelles Buffy est amenée à révéler sa nature de Tueuse peuvent être assimilées à un coming out. Les exemples sont légions et ceux cités précédemment n'ont absolument pas vocation à garnir une liste exhaustive. Les monstres que le Scooby-Gang doit affronter sont ainsi très proches de ceux du quotidien, ce qui contribue à rendre les enjeux de la série d'autant plus palpables et crédibles.
De toutes les allégories mentionnées, s'il ne fallait en retenir qu'une, telle la quintessence de "Buffy contre les vampires", ce serait certainement l'ultime antagoniste de la deuxième saison. Cette menace apparaît comme un cadeau empoisonné suite à la première fois de l'adolescente, le jour de ses 17 ans. Elle doit alors faire face à un adversaire sadique et pernicieux, la personnification du petit ami idéal devenu un pervers narcissique une fois qu'il a atteint son objectif, illustrant ainsi ce que les anglo-saxons nomment le « fuckboy syndrome ».

Passée la première saison, la série réalise un saut qualitatif en matière de narration, de réalisation et de caractérisation, introduisant de nouveaux personnages hauts en couleurs, à commencer par un couple de vampires charismatiques : l'électron libre Spike et la dangereuse Drusilla. De plus, par rapport aux standards de l'époque, "Buffy contre les vampires" se démarque par ses prises de risque. Elle n'hésite pas à tuer des personnages importants et faire souffrir ses protagonistes. Ces épreuves ne découlent pas seulement du paranormal et peuvent aussi résulter des accidents de la vie courante.
À cette audace narrative s'ajoutent de vrais partis pris stylistiques. La réalisation reste certes très académique la majeure partie du temps, mais elle peut également offrir des instants de grâce, à l'aide de registres multiples. Un des meilleurs épisodes de la série, « La Boule de Thésulah », est une tragédie portée par l'élégance de sa réalisation et l'utilisation d'un antagoniste en voix off. « Un silence de mort » est caractérisé par l'absence de dialogue entre les personnages jusqu'aux deux tiers du récit. « Que le spectacle commence ! » a au contraire été tourné et monté comme une comédie musicale. Les pas de côté exécutés par le show ont généralement donné naissance à ses épisodes les plus mémorables, à une époque où le médium télévisuel était loin d'égaler les prouesses du grand écran.
Parmi ses écarts, on aurait toutefois pu se passer d'effets numériques momifiés tant ils ont mal vieilli et d'un bestiaire globalement assez inégal, plutôt réussi quand il repose essentiellement sur le maquillage (à l'instar des fameux vampires), mais franchement raté dès lors que la transformation est plus radicale. On peut par exemple relever une mante religieuse en mousse et d'atroces costumes de loups-garous.

On pardonne néanmoins ces quelques errances, compte-tenu de la solide écriture de l'oeuvre. Sans égaler la qualité d'un film comme "Entretien avec un vampire", adapté du roman d'Anne Rice, cette série vaut le détour.
Elle est une ré-actualisation autrement plus pertinente du mythe des vampires que la calamiteuse saga "Twilight". Dans le cas présent, ces derniers sont mis au service d'un propos intelligent sur les ingratitudes de l'adolescence et la difficile acceptation de soi. Bref, laissez-vous tenter et venez arpenter les cimetières de Sunnydale avec Buffy Summers.












Wheatley
7
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le 18 janv. 2023

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